Sous la coquille #1

Je commence l’élaboration de mon troisième livre de poésie. J’en ferai part ici, au fil du temps et jusqu’à sa sortie. Une sorte de making-of sur l’élaboration d’un recueil à l’ère des réseaux (où vos réactions sur la série Credo ont déjà participé à l’impulsion de ce projet) autant que le moyen d’accumuler du matériau afin de construire cette nouvelle coquille. Car c’est d’escargot dont il s’agira. En lien tendu entre deux enfances et dans la suite de ce poème présent dans Les Terres rares :

Hier suivre l’escargot
sur la marche trempée

Se souvenir qu’enfant,
j’en faisais l’élevage

Puis tondre la pelouse
et soigner le vieux bois

Respirez calmement
au coucher du soleil
éclairant la montagne
que nous avons gravie

Ce soir, nous monterons
tout en haut du village
admirer le grand feu
de notre canton en fête

Déjà lui expliquer
qu’il est ici chez lui.

Je voudrai revenir aux petits mouvements qui nous font prendre conscience du miracle infini de la vie, définie par cette formule, attribuée à Einstein : « La vie, c’est une cellule qui a un projet ». Et réfléchir, en offrant réponse, sur ce qui ne cesse de m’interroger lors des discussions avec mes « collègues » poètes : la place de l’engagement en poésie.

Je suis assez réticent à l’idée d’utiliser la poésie pour la cause d’idées politiques ou de dogmes, voyant trop souvent cela comme une sorte de déguisement. Non pas du message, mais de la poésie elle-même. Déguisement qui, de surcroît, réduit considérablement la force vitale du poème, le rendant prisonnier d’un temps. Exception faite des moments de nécessité vitale dont l’écho peut résonner et faire sens, avec le poème, pour ceux qui suivent. Se transformer en mythe. Voir à ce propos le magnifique livre de Pierre Seghers, La résistance et ses poètes, réédité en 2004 par Bruno Doucey : « Jeunes gens qui me lirez peut-être, tout peut recommencer. Les bûchers ne sont jamais éteints et le feu, pour vous, peut reprendre. […] N’accepter jamais de devenir les égarés d’une génération perdue. »

Le projet de ce nouveau livre est d’être un manifeste. Mais militant pour une politique du regard, de la lenteur, d’une certaine forme de « non-agir » taoïste qui est tout le contraire de la passivité. Contre une certaine idée d’un transhumanisme total que certains présentent comme le remède à toutes nos peurs d’enfants qui ne savent pas encore perdre.  Après deux recueils en relation intime aux évènements d’une vie, celui qui s’appellera peut-être « l’homme-escargot » voudrait proposer un regard sur ce qui nous arrive tout en le rattachant au monde à découvrir avec émerveillement. Un manifeste pour le bonheur de vivre au rythme naturel du poème, proposant une piste simple, immédiate et accessible à tous pour concrétiser les idées de décroissance et de convivialisme qui commencent lentement à baliser les routes avec des auteurs comme Jacques Ellul ou Ivan Illich que l’on redécouvre en ce moment :

« L’escargot construit la délicate architecture de sa coquille en ajoutant l’une après l’autre des spires toujours plus larges, puis il cesse brusquement et commence des enroulements cette fois décroissants. C’est qu’une seule spire encore plus large donnerait à la coquille une dimension seize fois plus grande. Au lieu de contribuer au bien-être de l’animal, elle le surchargerait. Dès lors, toute augmentation de sa productivité servirait seulement à pallier les difficultés créées par cet agrandissement de la coquille au-delà des limites fixées par sa finalité. Passé le point limite d’élargissement des spires, les problèmes de la surcroissance se multiplient en progression géométrique, tandis que la capacité biologique de l’escargot ne peut, au mieux, que suivre une progression arithmétique ». (Ivan Illich, Le genre vernaculaire, Oeuvres complètes, Fayard, tome 2, p. 292)

En route donc, d’un glissement long, sur ce nouveau chemin, pèlerinage minuscule.

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