Twittérature, la littérature sur Twitter : un état des lieux

Un état des lieux de la twittérature francophone : Histoire, acteurs, controverses... Un article de référence pour découvrir la littérature sur Twitter, les twittérateurs, écrivains utilisant ce moyen de communiquer leurs œuvres, et faire connaissance avec l'Institut de Twittérature comparée (ITC) Bordeaux-Québec.

L’heure est grave, l’heure est belle. Depuis quelques mois, à l’ombre de la crise, se développe un mouvement littéraire nouveau : la twittérature (avec un accent dans la sphère francophone). Un courant hérité de l’Oulipo fondé par François Le Lionnais et prenant appui sur le service de microbloggin Twitter. Avec des dizaines de « twittérateurs » dans le monde francophone et la fondation d’une association visant à les réunir, l’Institut de Twittérature comparée (ITC), la twittérature pourrait bien changer la face du monde. Rien que ça. Un état des lieux s’imposait donc, histoire de ne pas passer 2011 dans l’ignorance crasse de l’évolution géopoétique de notre planète.

Au commencement il y eut un tweet

Tout commence en mars 2006 lorsque Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, publie le premier tweet de l’histoire sur sa nouvelle application : «  just setting up my twttr ». Cinq mots qui en annoncent des milliards d’autres. Le service de microbloggin servira désormais à tout internaute désireux de partager ses informations et ses états d’âme avec ses « abonnés » (ou followers) ou d’en recevoir des personnes qu’il suit. Seule contrainte, faire tenir son message en 140 caractères maximum, espaces et liens compris.

Twittérature, une littérature minuscule

Mais que vient faire la littérature là-dedans ? Et bien elle s’immisce, elle s’infiltre et occupe l’espace, fût-il minuscule. Rapidement, certains utilisateurs commencent à transmettre sur Twitter des proverbes, des aphorismes, de courts poèmes rappelant les haïkus japonais et de minuscules histoires, les nanofictions, ou micronouvelles, s’inspirant des modèles de Félix Fénéon et de ses Nouvelles en trois lignes publiés dans le journal Le Matin au début du XXème siècle, de la « Very Short Story » attribuée à Hemingway ou du fameux « Quand il se réveilla, le dinosaure était toujours là. » de l’écrivain Guatémaltèque Augusto Monterroso (dont je vous recommande vivement l’œuvre, publiée en France par éditions Passage du Nord-Ouest et André Dimanche).

Ces écrivains sur Twitter, baptisés twittérateurs ou twittératrices, accompagnent ainsi le mouvement de retour actuel des formes brèves en littérature, dans le sillon d’auteurs contemporains comme Éric Chevillard et son autofictif (que l’on retrouve dans le toujours parfait mensuel Le Tigre) ou de manifestations comme le Prix Pépin qui récompense, depuis 2005, une nouvelle de science-fiction de 300 signes maximum (à peine plus de 2 tweets, donc).

Sur tous ces aspects concernant la micronouvelle et la nanolittérature, je ne peux que vous recommander la lecture du très riche premier numéro de La Revue critique de fixxion française contemporaine consacré à ce thème sous le titre Micro/ Macro (vous pouvez télécharger ce numéro en cliquant ici), ainsi que le site Micronouvelles de Vincent Bastin.

Des romans sur Tweeter ? C’est possible !

La brièveté de la forme n’empêche en rien une certaine ampleur. À coté des poèmes et des textes de fictions courtes, plusieurs twittérateurs se sont pris au jeu du roman découpé en tweets, sur le modèle des « romans par sms » qui firent fureur au Japon en 2008-2009, les keitai shosetsu. Thierry Crouzet (@crouzet – sur Twitter, le nom de l’utilisateur est précédé d’un arobase) publia ainsi un thriller, ou plutôt un twiller, Croisades, en 5 200 tweets de décembre 2008 à avril 2010. Au Canada, Mélusine (@TwittLitt) publie également les tweets de ses micro-romans, lisibles les uns à la suite des autres. Exploitant au maximum l’esprit collaboratif propre aux réseaux sociaux, LeRoy K. May (@leroykmay) et Éric Bourbonnais. (@ebourbon) ont tenté l’aventure du twiller à quatre mains : Buboneka.

De Twitter à l’édition « traditionnelle »

Certains vont même jusqu’à publier ces tweets en livres comme Matt Stewart aux États-Unis avec The French Revolution ou André Lemos (@andrelemos) au Brésil avec « @reviravolta, uma experiência em twitterature ». En France, ce fût le cas de Béatrice Rilos (@rilosb) avec 100 caractères (espaces compris) aux éditions publie.net animé par le très actif François Bon (@fbon). Précurseur, Laurent Zavack (@Laurent_ZAVACK) a pré-publié sur Twitter puis sur papier romans et nouvelles dès 2008, allant même jusqu’à créer une maison d’édition, Twitteroman, dédié à cette forme.

L’Institut de Twittérature comparée (ITC)

Pour tenter de fédérer et de mettre en avant ces nouvelles pratiques, plusieurs initiatives ont vu le jour. L’Outwipo (L’Ouvroir de Twittérature Potentielle) fût une première tentative. Elle est, apparemment, un peu en sommeil (le compte @outwipo n’étant plus mis à jour depuis août 2010) mais propose une large liste de twittérateurs. Plus récemment, un enseignant québécois, Jean-Yves Fréchette (@pierrepaulpleau) et un journaliste français, Jean-Michel Le Blanc (@Centquarante)  ont fondé en août 2010 l’Institut de Twittérature Comparée (ITC). Disposant d’une antenne à Québec, et d’une autre à Bordeaux, cette association originale et francophone se veut le lieu de rassemblement et d’animation des twittérateurs avec, en projet, un Festival de twittérature et un prix pour 2012, comme nous l’explique Jean-Yves Fréchette dans ce reportage, réalisé dans le cadre du concours organisé par TéléQuébec « Le triathlon du français » par l’équipe « Les Traits d’union » :

Voici le Manifeste de la twittérature de l’ITC, document assez exceptionnel et fondateur pour que nous reproduisions ici dans son intégralité :

Manifeste

La twittérature est à la rature, ce que le gazouillis est au chant du coq. Les uns vantent l’alexandrin, d’autres jouent du marteau-piqueur.

Twittérature n’est pas humour. Il serait absurde de se rire de tout alors que l’on peut très bien se moquer de quiconque. Et réciproquement.

La twittérature est la somme de récits, aphorismes et autres apophtegmes. Une cacophonie de gazouillis que symphonise harmonieusement l’ITC.

La twittérature n’a pas de but lucratif. Seul l’enrichissement personnel d’ordre neuronal est autorisé dans les banques de données de l’ITC.

La twittérature se pratique par tout temps. Une de ses missions est d’ailleurs de déceler les littérateurs du passé qui auraient pu tweeter.

La twittérature ne contraint pas le twittérateur, mais elle se joue de la contrainte. Une seule contrainte, être fier de ses propres tweets.

La twittérature dispose d’un organe officiel, www.twittexte.com autour duquel les twittérateurs doivent faire corps sans se prendre la tête.

La twittérature ne s’intéresse pas qu’aux tweets présents en 140 caractères. Elle s’occupe aussi des tweets imparfaits, voire conditionnels.

La twittérature vante la beauté de l’orthographe et de la rhétorique mais interdit de se moquer de la verrue qui virgule le tweet du voisin.

La twittérature n’est point à traiter par-dessus la jambe, quel que soit le nombre de pieds utilisés pour chausser cent quarante caractères.

La twittérature envisage l’avenir sereinement. Dès l’apparition des premiers signes de vie extraterrestre, son aura deviendra intersidérale.

La twittérature n’est pas affaire d’homme ou de femme, elle est ambidextre, son manichéisme asexué. Elle est aussi singulièrement plurielle.

La twittérature est à la portée de tous. Elle fait vibrer les sourds; elle illumine les aveugles; les manchots peuvent l’effleurer du doigt.

La twittérature ne manque pas d’ambition, elle génère l’ambition mais aussi la notoriété et bien d’autres valeurs littéralement littéraires.

Pour approdfondir la découverte de l’ITC, toutes les informations sur sa branche française, ses statuts en 140 caractères et les modalités d’adhésion sur son blog, animé par Jean-Michel Le Blanc : http://twitter.blogs.sudouest.fr/.

Le livre « Twittérature » : un malentendu

Mais un petit malentendu subsiste à propos de la Twittérature. En cause, le succès médiatique d’un livre paru en 2009 aux États-Unis chez Penguin et en 2010 en France aux éditions Saint-Simon : La twittérature , les chefs-d’œuvre de la littérature revus par la Génération Twitter écrits par deux jeunes journalistes américains, Alexander Aciman et Emmett Rensin, cet ouvrage résumait, non sans humour, 75 best-sellers et chefs-d’œuvres de la littérature mondiale en 140 signes. Un énorme Buzz suivit la parution de l’ouvrage. Résultat : les recherches sur la twittérature sur le Net renvoient encore majoritairement sur des articles traitant de ce livre. Problème : ces tweets n’en sont pas. Car à part la contrainte des 140 caractères, ces résumés n’ont jamais été postés sur Twitter. Et donc partagés par les utilisateurs. Or, cette notion de partage instantanée de l’œuvre (et, dans une moindre mesure, sa création dans un temps restreint) est une des caractéristique de la twittérature. D’autre part, dans une interview à BFM (L’Atelier numérique du 16/10/2010), Alexander Aciman montre son peu d’intérêt pour twitter et avoue ne pas l’utiliser. C’est son droit le plus strict, cela n’enlève rien à l’originalité et à la réussite de leur entreprise, mais cette tentative brouille les pistes et rend la découvertes des « vrais » twittérateurs un peu moins facile.

Écoutez l’Atelier Numérique de BFM consacré à la Twittérature (16/10/2010) avec Alexander Aciman, co-auteur de « Twitterature », et Jean-Michel Le Blanc, Président de l’Institut de Twittérature Comparée Bordeaux-Québec (Durée 11’26) :

[audio:https://www.stephanebataillon.com/wp-content/uploads/2011/01/2010.mp3|titles=InterviewBFM]

Les conditions de diffusion des tweets : une chance pour l’écriture ?

L’intérêt de la twittérature ne se limite pas à la contrainte formelle, ni même à l’usage de l’application Twitter. Son originalité et sa force réside aussi dans son mode de diffusion instantanée. Dans la conscience de l’auteur de savoir son tweet lu dans le temps bref suivant sa publication et de voir sa propagation en temps réel grâce aux retweets (rediffusion d’un tweet par un autre utilisateur, marqué RT). Comme la pratique de l’oralité en poésie, cette condition influe considérablement sur l’écriture du tweet littéraire et permet d’investir au même moment cet espace formé par l’auteur, son œuvre et le lecteur. Cette dynamique propre aux réseaux explique tout l’intérêt d’intégrer complètement cette technique à la création, non pour en être prisonnier mais pour la mettre à profit dans l’émergence de lieux nouveaux. Aussi, si certains craignent une baisse de la qualité du français dû à Twitter et aux SMS, ( lire cet article consacré à la twittérature publié dans le journal québécois La Pige (PDF)) nous sommes certains que le détournement de cet outil à des fins de création littéraire peut fournir un formidable terrain de jeu et de manipulation de la langue. 

Mais où lire de la twittérature ? Ici & là-bas
Bon, assez d’explications, car le temps presse et l’émotion monte. Il est désormais temps, avant de clore ce premier article consacré aux formes brèves (d’autres viendront) de découvrir quelques twittérateurs et de se plonger dans leurs œuvres. Pour cela, un seul lieu: Twitter. Grâce notamment à cette liste de twittérateurs, rassemblant quelques uns des écrivains les plus présents sur le réseau. Pour ceux qui n’ont pas de compte twitter, quelques exemples de tweets récents. Bonnes lectures !

@AuDiableVauvert > Oui je suis tout le temps en retard. Non c’est pas un manque de respect. C’est qu’on est plusieurs dans ma tête et on est rarement d’accord.

@Centquarante > Elle était tatillonne. Elle exigea qu’il lui fournisse une copie des règles officielles avant d’accepter de jouer, avec lui, à pile ou face.

@poussinbarbu > Vous êtes un idéaliste, me dit il. Il me toisait par delà son bureau, comme une bête curieuse. Je pris mon envol par la fenêtre entrouverte.

@nanopoesie > Ici. Là. Lieux communs.

@marysehache > Tous mes perdus me font farandole au gré de petits riens qui les invitent; heureuse qu’ils fassent visite, et dans les rêves aussi

@FibreTigre > Je viens de m’apercevoir que les amis imaginaires que j’avais étant enfant ont grandi avec moi. Ils ont mieux réussi dans leur vie, aussi.

@sbataillon (parce que y’a pas de raison de ne pas travailler un peu aussi) > On aperçoit des mots/ descendre par la plage//Nous n’avons plus besoin/ des carapaces gravées//Et les tortues sourient.

Stéphane Bataillon (@sbataillon)

À lire aussi :

Twittology #1 (17/01/2011) : l’anthologie quinzomadaire de la twittérature

9 Commentaires

sbataillon 09/01/2011 Répondre

Chers @Centquarante @TwittLitt @crouzet @pierrepaulpleau @AuDiableVauvert @poussinbarbu @nanopoesie @FibreTigre http://www.stephanebataillon.com/twitter

AuDiableVauvert 10/01/2011 Répondre

@sbataillon Merci ! Et chouette article !

sbataillon 10/01/2011 Répondre

Vous avez dit twittérature ? La littérature sur Twitter : un état des lieux http://www.stephanebataillon.com/twitter

cjeanney 10/01/2011 Répondre

@sbataillon manque des choses comme http://semenoir.typepad.fr/semenoir/2011… (et me demande pourquoi chevillard dedans aussi)

Oeuvres ouvertes 10/01/2011 Répondre

me permets de vous signaler cette série de « Signaux ultramarins » composés uniquement de twitts…

http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article146

Le machin à écrire 11/01/2011 Répondre

Excellente synthèse. Et merci de me citer: ça recharge les batteries pour continuer!

– Nicolas
@machinaecrire
@nanopoesie

Jonathan Livingstone Jr 11/01/2011 Répondre

Interesting, mon cher Watson. Après l’ère du « think big », voici venu le temps du small, du micro, du nano. Oui à la poésie atomique, capable d’Hiroshima littéraires, non à la poésie microscopique. Le temps jugera…

Caroline GERARD 18/01/2011 Répondre

J’anime une toute petite maison d’édition qui s’appelle Cousu Main où j’ai le bonheur d’éditer un texte d’Éric Pessan, long poème fait de tweets qu’il a écrits pendant 153 jours. Cela s’intitule : Moi je suis quand même passé. du numérique au papier, démarche inverse du courant actuel.
Je faisais donc de la Twittérature sans le savoir. Merci pour cet article.

Dominique Panchèvre 01/04/2011 Répondre

Découvert grâce à Caroline Gérard (éditions Cousu Main) et au Tweet-book d’Éric Pessan, cité ci-dessus, j’ai lu votre article très riche et passionnant. Je vais m’empresser de le diffuser dans le réseau que j’anime, celui des structures régionales pour le livre.

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