(Article initialement paru dans La Croix le 20/04/2025)
Derrière la coutume des œufs de Pâques, se cache de délicieux mythes autour de la naissance du monde, de l’éclosion de la vie et de la force des renaissances. Plus qu’un aliment savoureux l’œuf invite, depuis l’Antiquité, à goûter chaque instant d’une vie pleine et entière.
C’est une chasse au trésor, ludique et gourmande, qui est proposée chaque année pour célébrer le dimanche de Pâques, après 40 jours de Carême. Des œufs en chocolat, cachés dans le jardin ou les recoins de la maison, attendent d’être débusqués dans de grands cris de joie. Ils sont sensés êtres apportés soit par les cloches de Rome, dans les pays catholiques, soit par des lapins en Allemagne et dans les pays du Nord, l’animal étant lié à la déesse de la fertilité Ostara, qui donna le mot anglais Easter (Pâques) et « Easter eggs » pour « œufs de Pâques » (expression qui désigne aussi, dans la culture populaire, les bonus cachés dans les jeux vidéo). La pratique n’est pas dans la Bible, mais est attestée en milieu chrétien dès le XIIe siècle, où des œufs décorés étaient offerts au sortir du temps de privation, s’inspirant d’une coutume antique à l’occasion de l’équinoxe de Printemps.
Car l’intérêt de cette quête n’est pas que gustative. L’œuf renferme dans sa coquille une riche symbolique autour de la fécondité, la venue du Printemps signant le retour de la ponte, et donc de la vie après l’hiver. Par extension, il devient métaphore de la naissance et de la résurrection de Christ.
S’il n’en est pas un symbole majeur, l’œuf apparaît quelquefois dans l’art chrétien. Dans La Vierge à l’enfant entourée de saints peinte par Piero della Francesca en 1475, un œuf d’autruche à la forme parfaite, est suspendu au-dessus de Marie et pointe vers le nombril de Jésus. L’autruche enfouissant ses œufs dans le sol pour le laisser incuber seul dans le sable ayant été parfois interprété comme un mode de reproduction sans fécondation. La couleur blanche renforce quant à elle l’idée de perfection et de pureté de cette naissance.
L’œuf, matrice du cosmos
Il faut voyager pour approfondir les significations de cet œuf immaculé, symbole dans de très nombreuses civilisations du germe initial, incarnant le tout dans sa petite coquille protectrice et permettant la préparation d’une éclosion qui donnera naissance au cosmos ou à un être parfait. Dans un mythe orphique de la Grèce antique, le monde a ainsi été créé à partir d’un œuf, tout comme des héros au destin exceptionnels comme Castor et Pollux, sortis d’œufs pondu par Léda, épouse du roi de Sparte, séduite par un Zeus camouflé en cygne.
Dans la mythologie égyptienne, l’océan primordial, Noun, génère un œuf matrice d’où sort Khnoum, dieu de la création. En Chine l’œuf, chaos primordial, se brise pour donner naissance aux deux opposés cosmiques que sont le yin (la féminité, la terre, le froid, l’ombre) et le yang (le masculin, le ciel, l’activité, la chaleur) ainsi qu’à l’Homme primordial, P’an-kou. Enfin, plus étonnant, dans les rites païens préchrétiens, le jaune d’œuf, associé à l’or et à la force vitale, était utilisé lors de certains rites pour guérir les maladies ou renforcer la fertilité. Il était en outre de coutume de placer un œuf dans la tombe d’un défunt pour le renforcer avant son voyage vers l’au-delà.
Une vision dynamique du monde et de la vie
Une même idée sous-tend toutes ces représentations : celle d’une différentiation progressive à partir d’une réalité primordiale permettant la manifestation des éléments et des êtres développant tous leurs potentiels, dans une dynamique de relations. L’une des plus anciennes Upanishad majeures indienne datant du VIe siècle avant J.C, la Chāndogyopaniṣad 1, narre avec une grande force poétique cette éclosion initiale : « Au commencement, il n’y avait que le Non-Être. Il fut l’Être. Il grandit et se changea en œuf. Il reposa toute une année, puis il se fendit. Deux fragments de coquille apparurent : l’une d’argent, l’autre d’or. Celui d’argent, voilà la terre ; celui d’or, voilà le ciel. Ce qui était la membrane externe, voilà les montagnes ; ce qui était la membrane interne, voilà les nuages et les brumes ; ce qui était les veines, voilà les rivières ; ce qui était l’eau de la vessie, voilà l’océan. »
Plus proche de nous, le philosophe et maître de l’École de Chartres Guillaume de Conches (v.1080 – v.1150), contemporain d’Hildegarde de Bingen, reprend cette cosmogonie imagée, très présente dans la conception de la nature du Moyen Âge : « Le monde est disposé à la manière d’un œuf et la terre est au milieu comme le jaune. Autour d’elle, il y a de l’eau comme le blanc autour du jaune. Autour d’elle de l’eau il y a de l’air comme la membrane qui contient le blanc. Au-dehors, il y a du feu à la manière de la coquille de l’œuf. »
Et si le véritable trésor à retrouver lors du dimanche de Pâques se cachait au détour de ces images, qui au-delà de la naissance ou de la renaissance disent aussi la force d’une création et d’une vie spirituelle toujours en mouvement ? Pour le savoir, une seule solution : croquer à pleines dents dans le bel œuf tout juste découvert !