Prendre à la main
une couleur puis une autre
et leur faire un visage
Elle assise sur le trottoir
semblant attendre un train
respirant cette part d’elle-même qu’elle a gâchée
Quelques incisions sur les arbres
Le soleil comme un hématome
Visage scandale
signe
affront
ciel après un enterrement
J’étais dans la foule
Les chiens tirent sur leur laisse
font exister les passants
Visages en miettes sur un coin de table
Et tu me parlais
de la vie bientôt achevée
Et je te racontais
ces yeux qu’ils ont levés sur moi
Fixes
Au-dessus d’un jeu de cartes
Laura Tirandaz
J’étais dans la foule
Héros-Limite, 72 p., 16 €
Ce pourrait être l’Iran ou le coin de notre rue. Un pays sur la carte ou une terre rêvée propice à tous les mythes. Il y aurait une foule et nous serions dedans. À observer, à réfléchir, à ressentir. À s’adapter aux vents, à la chaleur pour retenir « ce qui s’écoule » et prendre le temps de « laisser vieillir les arbres ».
Née en 1982 à Lyon d’une mère française et d’un père iranien, avec qui elle a traduit deux recueils de la poète iranienne Forough Farrokhzad, Laura Tirandaz est poète et dramaturge. Elle a réalisé des documentaires et des créations sonores pour Arte Radio, la RTBF et France Culture, qui a enregistré sa dernière pièce, Feu la nuit.
Avec J’étais dans la foule, son troisième recueil après Signer les souvenirs et Sillons, parus chez Æncrages & Co en 2017 et 2019, elle propose un livre-lieu où l’oppression du dehors, celle du « malade face à la porte », est contrebalancée par une langue presque douce, qui prend soin d’économiser les termes pour créer de l’espace. Que nous puissions, même dans la foule, trouver où cheminer.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo du 4 juillet 2025)