UPPLR #304 : Psaume XLVIII, par Patrice de La Tour du Pin

1 Venez dans mes allées si vous n’en avez pas d’autres, – si vous n’avez pas encore frayé vos chemins.

2 Malgré elle, mon âme en dessine des milliers, – passez par la fissure qui vous a fait tressaillir.

3 Mettez à la place de mes mots ceux qui s’impriment – davantage dans votre intime solitude.

4 Changez les arbres et les bordures et les horizons ! – ayez vos dilections comme j’ai les miennes.

5 Changez ma droite et ma gauche qui sont des sens passagers ! – nuancez le ciel selon vos propres nuages.

6 De tout ce qui n’est pas indifférent faites votre paysage, – il importe peu qu’il soit du solstice d’été ou d’hiver.

7 Mais ne touchez pas au nom de Celui qui est ineffable, – parce que Celui-là, je ne l’ai pas recréé.

8 Et on doit l’entendre tout le long de mes allées comme des vôtres, – au bout de toutes les allées comme de la vie.

Patrice de La Tour du Pin
Offices et Psaumes
Préface d’Emmanuel Godo
Postface de Marie-Josette Le Han
Éd. Salvator, 128 p., 16,90 €

Infuser la parole, puis oser l’invention. Patrice de La Tour du Pin (1911-1975), saisi par la force de la liturgie des offices et des psaumes, a tenté de reprendre ces formes pour proposer des poèmes nouveaux. 51 psaumes et des offices du matin, du soir, de la Vierge et des morts. D’une voix partant du plus intime de son expérience et de sa compréhension sensible du mystère. « Voici que j’ai compris que la plus belle prière – ne devait pas être dite en mon nom, mais au nom de tous. » Ces textes, d’une grande force spirituelle, évitent le décalque et les formulations usées. À l’occasion du 50e anniversaire de la mort du poète, ils sont aujourd’hui republiés dans leur version initiale de 1946, peut-être plus accessible et moins elliptique que la version définitive élaborée par le poète au cours des années 1970, et inclus dans Une somme de poésie (Gallimard, 3 volumes). Dans sa préface, Emmanuel Godo y dit d’entrée ce qui a guidé De La Tour du Pin dans sa quête d’une « théopoésie », union étroite du langage humain et du Verbe divin : « Le poète (…) travaille à faire converger les deux espoirs qui restent à l’humanité dans le monde défait par la brutalité de l’histoire : la foi chrétienne et la poésie. Dans cette alliance essentielle, un horizon se rouvre et, avec lui, des fertilités inespérées. » Ses psaumes permettent à chacun de prendre part à cette communion.

Stéphane Bataillon

(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°304 du 17 octobre 2025)

Laisser un commentaire