Cette stratégie d’évangélisation, développée par des courants charismatiques néopentecôtistes protestants américains dans les années 70, sert aujourd’hui d’appui théologique aux courants fondamentalistes chrétiens pour justifier une prise de contrôle totale de la société. Une clé de compréhension majeure des turbulences actuelles.
(Article publié dans La Croix du vendredi 21 novembre 2025)
Qu’est-ce que le mandat des sept montagnes ?
Le mandat des sept montagnes (souvent abrégé en 7 M pour « seven mountains ») aussi appelé dominionisme, (de l’anglais dominion, mandat) est une stratégie d’évangélisation chrétienne issue des milieux charismatiques néopentecôtistes américains. Elle vise à investir puis à prendre le contrôle, au nom de Dieu, des sept sphères décisionnelles majeures de la société moderne : l’éducation, la religion, la famille, les affaires, le gouvernement, les arts et les médias. Entrepreneur, homme ou femme politique, enseignant(e) ou artiste, chaque chrétien doit, dans le domaine dans lequel il exerce, prendre le « leadership » des institutions temporelles d’une nation, supposément gérées par des personnes sous influence démoniaque. Cette prise de contrôle collective des missionnaires doit permettre de discipliner les nations à la volonté de Dieu (d’où l’emploi fréquent du terme de « disciples » dans cette mouvance) et, en soumettant le politique à la religion, instaurer une forme de théocratie. « En ne s’appliquant plus seulement à des individus ou à des territoires mais à des institutions, Ia mission d’évangélisation s’apparente à un véritable combat spirituel proposé au chrétien pour exorciser ces entités négatives, réduisant la moindre opposition à la figure du diable. Explique Philippe Gonzalez, sociologue, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne et spécialiste du protestantisme évangélique*. »
Quelle est son histoire ?
Dès l’antiquité, certains apologètes comme Méliton de Sardes au IIe siècle, théorisent l’établissement d’une théologie de l’empire chrétien. Idée reprise et amplifié au siècle suivant par Eusèbe de Césarée, promoteur de l’idée d’une « mission divine » confié par Dieu à Constantin pour prendre le pouvoir. Mais le dominionisme est surtout une traduction d’une théologie néo-calviniste : le recontructionisme chrétien, apparue dans les milieux charismatiques américains au milieu des années 70. Charles Peter Wagner (1930-2016), détenteur pendant 30 ans de la chaire de mission « croissance de l’Église » du très influent Fuller Seminary évangélique en Californie a été l’un des promoteurs central de ces idées, fondant le réseau para-ecclésial de la Nouvelle Réforme Apostolique (N.A.R en anglais) tête de proue de ce courant d’idées jusqu’à aujourd’hui. Le concept des sept montagnes a été présenté en 1975 comme une vision prophétique confiée par Dieu à trois grandes figures de l’évangélisme américain : Loren Cunningham (fondateur de Jeunesse en mission, JEM), Bill Bright, fondateur de Campus Crusade (Agape France dans l’hexagone) et Francis Schaeffer, pasteur presbytérien fondateur de la communauté de l’Abri en Suisse. Dans les dernières années, Lance Wallnau, télévangéliste texan de la NAR, qui prophétisa l’élection de Donald Trump en 2016 au nom des sept montagnes et Bill Johnson, pasteur de la mega-church charismatique californienne l’église de Bethel, ont fini de populariser ces conceptions.
Sur quels textes bibliques s’appuie t’il ?
Le mandat des sept montagnes se base sur une interprétation du verset 1, 26-28 de la Genèse : « Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! ». Cette soumission de la nature aux chrétiens s’élargissant à l’ensemble des institutions humaines. « Selon les dominionistes, Satan aurait ravi cette domination à l’homme après la chute, explique Philippe Gonzalez. Il s’agit de la reconquérir. » Un passage d’Apocalypse 17 est aussi régulièrement cité par les partisans du dominionisme : « Ici, il faut l’intelligence mais avec la sagesse. Les sept têtes sont sept collines sur lesquelles réside la femme ; elles sont aussi sept rois ». Une référence utile à Babylone, actualisant la métaphore d’une Bête à abattre, les structures modernes remplaçant ici le pouvoir romain. La parution en 2013 du livre de Lance Wallnau et Bill Johnson : Invading Babylon : The 7 Mountain Mandate, à l’origine du regain d’intérêt pour ces idées aux États-Unis, y fait directement référence. « Mais en réalité, cette mention de l’Apocalypse est peu citée dans les textes des fondateurs de ce schème, indique Philippe Gonzales. La référence au livre de Josué est plus présente, avec l’idée de la conquête victorieuse du pays de Canaan la division du territoire entre les douze tribus d’Israël. Cette victoire vétérotestamentaire justifie l’intensité du combat spirituel à mener aujourd’hui. L’appellation dominion, c’est le concept théologique. Les sept montagnes, c’est le plan d’application. »
Quelle est son influence aujourd’hui ?
Le mandat des sept montagnes connaît un fort regain de popularité avec le second mandat de Donald Trump y compris chez ses partisans catholiques. « Il est important de ne pas confondre le projet conservateur chrétien, qui a la volonté d’influer sur la société mais en respectant le débat dans le cadre démocratique et le projet dominioniste que l’on peut qualifier de réactionnaire, dans le sens où il veut éliminer toute expression de voix discordantes et mettre fin au pluralisme, alerte Philippe Gonzalez. » Cette nuance explique pourquoi cette conception protestante évangélique trouve un large écho chez certains catholiques américains. « Il y a une alliance objective entre les évangéliques dominionistes et ces catholiques réactionnaires autour du Président Trump ». Cette alliance a été théorisée sous le terme de « communisme des tranchées » « La conquête du pouvoir, et théologiquement la victoire de Dieu sur le diable, incarné par des boucs émissaires changeants (les fonctionnaires, les démocrates, les wokistes…) étant plus importante que les différences doctrinales. »
* Auteur de Que ton règne vienne, des évangéliques tentés par le pouvoir absolu. Labor et Fides, 2014.
À lire aussi : André Gagné, Ces évangéliques derrière Trump : hégémonie, démonologie et fin du monde, Labor et Fides, 2020.
Encadré : En France, une portée encore limitée
En France, le dominionisme et le mandat des sept montagnes sont encore peu connus et restent cantonnés aux marges du mouvement évangélique. Si certains mouvements internationaux présents dans l’hexagone en reprennent certains aspects, le Conseil national des évangéliques de France (Cnef) principale instance de représentation des évangéliques Français avec près de 70 % des églises, rejette clairement ces stratégies importées. Ainsi, elle a pris ses distances dès 2012 contre la théologie de la prospérité, également issue du néopentecôtisme américain, insistant sur le combat contre les influences démoniaques et offrant au fidèle richesse et santé en récompense.