Buvant tasse,
sur tasse un chocolat
chaud (à volonté)
sans lait, bien mousseux,
d’un doux beige foncé, dont les bulles
formaient des réseaux ou des treillages
raidis par la gélatine,
j’ai vu un homme refermer son stylo,
ses mots croisés terminés, remettre
son chapeau de feutre bleu, puis,
rejoint par des amis, dire quelque chose
que je n’ai pas entendu ; mais
sa voix – épaisse, enfumée,
ténébreuse, comté de Cork avant-guerre –
ressemblait tant à celle du père
de mon père il y a trente ans,
le souffle court,
les manches retroussées, de gros dés de rutabaga
étalés dans un grand plat creux,
mon père tout agité,
que ma colonne vertébrale s’est écrasée
contre mon siège en plastique moulé,
recroquevillée.
Hannah Sullivan
Était-ce pour cela, traduit de l’anglais par Patrick Hersant,
Éd. La Table ronde, 248 p., 21,50 €
Que retenir lorsqu’une fin du monde, la fin de son monde, arrive ? Lorsqu’un incendie ravage la ville, lorsqu’on tombe amoureux, que l’on perd, lorsqu’il se produit ces révolutions intimes ou collectives qui changent notre regard sur ce qui allaient de soi ? Hannah Sullivan nous le raconte, avec des détails qui, s’ils semblent anodins, tissent le temps et fixent l’espace : un épisode de la série animée Pat patrouille, l’enseigne d’un magasin, les glaçons fondus échappés d’une glacière… Poétesse britannique née en 1979, professeur de littérature à l’université d’Oxford et prix T. S. Eliot pour son recueil Trois poèmes parus chez le même éditeur en 2021, Sullivan nous raconte sa vie au fil des lieux qu’elle a traversé, de Londres à Boston en passant par New York. Mêlant vers et prose, souvenirs d’enfance et choses vues sur le vif, proches et inconnus, elle propose une autobiographie singulière, portée par la puissance de transmutation de la littérature. « Ayant dévolu à l’espace/une première moitié, j’entends/consacrer le reste de ma vie au temps (…) » note-t-elle. Avec cette belle édition bilingue (textes en anglais sur un doux papier bleu) et photos de lieux vides pour y projeter son imaginaire, elle nous invite à quelques heures en sa bonne compagnie. 021, Sullivan nous raconte sa vie au fil des lieux qu’elle a traversé, de Londres à Boston en passant par New York. Mêlant vers et prose, souvenirs d’enfance et choses vues sur le vif, proches et inconnus, elle propose une autobiographie singulière, portée par la puissance de transmutation de la littérature. « Ayant dévolu à l’espace/une première moitié, j’entends/consacrer le reste de ma vie au temps (…) » note-t-elle. Avec cette belle édition bilingue (textes en anglais sur un doux papier bleu) et photos de lieux vides pour y projeter son imaginaire, elle nous invite à quelques heures en sa bonne compagnie.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°288 du 30 juin 2025)