UPPLR #180 : S’il en est un qui vient, par Nelly Sachs

S’il en est un qui vient
de loin
avec une langue
qui peut-être renferme
des sons
avec le hennissement de la jument
ou
le pépiement
de jeunes merles noirs
ou
aussi comme une scie stridente
qui entaille toute proximité –

S’il en est un qui vient
de loin
avec les mouvements du chien
ou
peut-être du rat
et que c’est l’hiver
alors habille-le chaudement
il se peut aussi
qu’il ait du feu sous ses semelles
(peut-être prit-il
pour monture un météore)
alors ne le gronde pas
au cas où ton tapis crierait par ses trous brûlés –

Un étranger porte toujours
son pays natal dans ses bras
comme un orphelin
pour lequel il ne cherche peut-être rien d’autre
qu’une tombe.

Nelly Sachs

Exode et métamorphose. Traduction de l’allemand par Mireille Gansel. Coll. Poésie/Gallimard, 416 p., 11,10 €

Écoutez ce poème (lecture : Stéphane Bataillon) :

Réfugiée en Suède en 1940, à 48 ans, afin d’échapper à la menace du Troisième Reich, Nelly Sachs part de ce point d’exil pour bâtir l’une des œuvres poétiques les plus fortes du XXe siècle. Cri face au scandale de la Shoah, chants inspirés par la Torah en direction d’un Israël intérieur où les larmes et la mort tentent, par la force et le rythme des mots, de porter l’espérance malgré l’incertitude : « Si les prophètes se levaient / dans la nuit de l’humanité / comme des amants qui cherchent le cœur de l’être aimé, / nuit de l’humanité, aurais-tu un cœur à donner ? » Cette anthologie de poche couvre toute sa production, avec notamment l’intégralité de ses quatre premiers recueils et des traductions revues et corrigées par rapport à celles déjà parues. L’essentiel pour partager une langue « mêlée de sources et d’étoiles ».

Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°180)