UPPLR #110 : J’ai caché mon amour, par John Clare

J’ai caché mon amour étant jeune et farouche
Jusqu’à ne plus souffrir le bourdon d’une mouche
J’ai caché mon amour pour ma détresse amère
Jusqu’à ne plus souffrir la vue de la lumière
Je n’osais pas jeter les yeux sur son visage
Mais par monts et par vaux je laissais son image
À chaque fleur des champs c’était un baiser pour
Dire adieu une fois encore à mon amour

C’est au plus vert du val que je l’ai rencontrée
La jacinthe des bois s’emperlait de rosée
Et la brise perdue baisait ses yeux d’azur
L’abeille aussi baisait et s’en allait chantant
Un rayon de soleil se frayant un passage
Mit une chaîne d’or à son col éclatant
Celée comme le chant de l’abeille sauvage
Elle est demeurée là tout au long de l’été

J’ai caché mon amour aux champs et à la ville
Jusqu’à être un jouet pour la brise gracile
L’abeille me semblait ressasser des ballades
Et la mouche rugir en lionne irritée
Il n’est pas jusqu’au silence qui ne prît langue
Et qui ne me hantât tout le long de l’été
L’énigme qui laissait la nature impuissante
N’était pas autre chose qu’un amour secret

John Clare
Poèmes et proses de la folie, présentés et traduits par Pierre Leyris, Les Belles Lettres, 124 p., 19 €

Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :

 

Les éditions des Belles Lettres rééditent, dans leur très belle collection Poésie magique, les poèmes et les proses du romantique anglais John Clare (1793-1864). Poète célébré puis oublié, sombrant dans la folie, poète paysan, détonnant dans la société londonienne du XVIIe siècle, poète politique aussi, représentant les travailleurs, Clare a su faire passer dans ses textes quelque chose de la lumière des campagnes anglaises. Paysages apaisés, bourdonnant de vie, métaphore bien réelle d’un jardin d’éden. Cet ouvrage, rassemblant outre les textes de l’auteur, présentation, biographie, documents et un essai de 1969 sur sa psychose écrit par Jean Fanchette, est rythmé par les illustrations du dessinateur Pam Smy, empruntant au style pastoral. Une idée de cadeau délicat.

Stéphane Bataillon
(Initialement publié dans La Croix l’Hebdo n°110 du 3/12/2021)