Le cœur se souvient,
oui, de tant et tant de choses.
Mais il en oublie aussi,
cœur obtus, ô combien !
Cœur hypocrite, cœur
petit : il verse deux larmes,
et ce qu’il n’a plus
il néglige, et continue de vivre.
Mais je t’arracherai,
toi, cœur faux, dur
d’un cœur, et de ces mains
je te collerai au mur.
Et je te conterai tout
l’antan, toi oublieux :
trembler je te ferai, pleurer
de colère et de passion.
Virgilio Giotti
Soir, édition bilingue, traduit du triestin par Laurent Feneyrou et Pietro Milli, Triestiana, 160 p., 18 €
Ce sont des poèmes de vie et d’absence. Virgilio Giotti, né en 1885 et mort en 1957 à Trieste est un poète italien ayant porté le dialecte triestin à son plus haut. Dans Soir, il rassemble des textes composés entre 1943 et 1948 au fil d’une guerre où, impuissant, il s’inquiète, sans nouvelles de ses deux fils, Paolo et Franco, mobilisés sur le front. Ils n’en reviendront pas. Le poème ici, sert à convoquer tout ce qui peut permettre d’empêcher un geste fatal de désespoir : les senteurs et les rires d’autrefois, les lieux habités, les montagnes et les ciels. Des poèmes pour continuer à crier ses doutes : « Apprends-moi, destin, / comment je dois faire / pour mourir et rester / pareil là en ce monde ; (…) » Des vers retenus, simples et poignants pour dire ce qui continue à vivre en nous, malgré les larmes et le silence. « Le bonheur ce sont les yeux ; quand le cœur est la mélancolie ». Loin de n’être que tristesse, Soir procure un sentiment de sérénité et de lumière, ravivant par le poème les images d’un bonheur perdu. À la table de sa maison d’enfance, où il convoque vivants et morts, Virgilio Giotti imagine : « nous nous regardons / les uns les autres dans les yeux ; / et en paix nous nous parlons ; / et nous sommes au paradis ». Une étincelle d’éternité dans une poignée de mots.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°265 du 11/01/2025)