UPPLR #181 : Essai sur Adam, par Robert Bringhurst

Il y a cinq possibilités. La première  : Adam est tombé.
La deuxième  : on l’a poussé. La troisième  : il a sauté.

La quatrième  :

il n’a fait que se pencher au-dessus du bord et un regard a suffi
à le réduire au silence.
La cinquième  : il n’arriva rien à Adam qui vaille la peine qu’on

en parle.

La première – il est tombé – est trop simple. La quatrième,
la peur, nous l’avons éprouvée. Elle est inutile. La cinquième,
rien n’est arrivé, est sans intérêt. Voici les hypothèses

qui restent :

il a sauté ou bien on l’a poussé. Et la différence entre les deux

n’est qu’affaire de savoir si les démons
œuvrent de l’intérieur vers l’extérieur ou de l’extérieur
vers l’intérieur  : la seule
question théologique qui vaille.

Robert Bringhurst

La Lumière des étoiles ne cesse de faiblir, traduit de l’anglais (Canada) par Alexis Bernaut. L’herbe qui tremble, 108 p., 17 €.

Écoutez ce poème (lecture : Stéphane Bataillon) :

Né en 1946 à Los Angeles, Robert Bringhurst s’installe dès l’âge de six ans au Canada. Dans les années 1970, il se met à l’étude intensive des langues des peuples premiers de l’Amérique du Nord et s’installe en Colombie-Britannique. Il poursuit son exploration des idiomes et des mythes par ceux des peuples Navajo et Haïda dont il s’inspire pour écrire ses textes. Son œuvre, au plus proche du vivant, soucieuse d’une écologie sincère, est saluée par Margaret Atwood comme « gigantesque et héroïque ». Cette première traduction française d’un choix de ses poèmes nous fait entrer dans l’univers des formes de ce spécialiste mondial de la typographie, un autre de ses talents, qui tente de dire la fragilité et les joies de notre condition avec pudeur et autodérision. Dans son poème « Père et fils », il esquisse ces liens qui risquent la transmission : « Je l’ai observé. / J’ai écouté. Il parlait / aux rochers et aux arbres, / aux abeilles et aux faucons, pas à moi. Mais il m’a donné / mes ailes. // Et pour cette raison, l’espace d’un instant, je l’ai à la fois abhorré et vénéré. »

Stéphane Bataillon

Retrouvez ce poème dans La Croix l’Hebdo n°181 du 5 mai 2023.