UPPLR #300 : Vent des steppes, par Yaryna Chornohuz

tu es comme le vent des steppes
et si désuète que soit cette comparaison je la répéterai encore

tu es comme le vent des steppes
depuis que tu as quitté le monde des vivants

et si profonde que soit la forêt où je cours
si profondément essoufflée que je sois
à force de courir
tu continues à me porter sur ton dos
comme le vent des steppes
pour que je me repose et ne reste pas à la traîne
et quand tu pries tes dieux
tu es comme le vent des steppes

et quand je ressens la salutation de tes herbes
je sais que je n’ai pas d’autre choix
sinon de guérir par la douleur
de repenser aux yeux bleus qu’il avait
le vent des steppes

Yaryna Chornohuz
C’est ainsi que nous demeurons libres
Traduction de l’ukrainien par Ella Yevtouchenko et Frédéric Martin
Le Tripode, 128 p., 16 €

Elle est sur le front. Au cœur de la guerre contre la Russie, la caporale de l’armée ukrainienne Yaryna Chornoruz, née à Kiev en 1995, écrit des poèmes entre deux combats. Pour dire l’atrocité de la perte, celui des parents, des amis, de son premier amour, ici rappelé et sublimé, tué par un sniper russe. « Si nous restons en vie/j’essaierai pour la première fois/de planter une tige dans un champ/épargné par les mines », écrit-elle, posant des mots comme un acte de réconciliation intime pour avoir la force de garder espoir. Comme souvent dans les temps sombres, la poésie prend sa part et joue son rôle : celui d’être une preuve tangible que rien ne peut éteindre cette soif de liberté des hommes, si souvent éprouvée. Ce recueil précieux ouvre l’horizon d’une paix juste et digne : « même quand on oublie notre véritable nom et notre langue/jamais jamais jamais/on ne perd la foi/en notre beauté en notre force en la liberté/c’est pourquoi/même quand il ne nous reste qu’un voile de cendre/on ne se rend pas// il semble que c’est bien cela le don de mon peuple ».

Stéphane Bataillon

(Article initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°300 du 20 septembre 2025)

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