Journal d’une retraite #1

Je vais partir. Je vais partir faire une retraite d’une semaine. Seul. La première de ma vie. Je pars pour en faire le récit, au plus proche de ce que j’y vivrai, pour mon journal. J’en suis heureux. D’un enthousiasme profond, calme, que je ne me connais pas.

Je dois m’y préparer. J’ai commencé à lire un long commentaire de la Règle de Saint Benoit, qui guide la vie de l’abbaye que je  rejoindrai dans quelques jours, en Bretagne, à Landevennec. C’est passionnant, mais mon amie Delphine, alors que je lui parle de ce projet devant un excellent bœuf bourguignon, me fait justement remarquer que ce n’est peut être pas la bonne approche. Qu’il faut, pour une fois, « arrêter de rendre la porte plus grande que l’entrée ». Arrêter de se faire un monde, arrêter de vouloir tout circonscrire, tout maitriser. Arrêter d’avoir peur du manque en accumulant les mots, les concepts, les définitions dans l’encyclopédie totale que ma tête élabore sans répit pour éviter que j’angoisse. Du vide. Du manque. De l’absence.  Penser à mon corps. Celui d’après, cou, épaules, bras, poitrine, ventre, sexe, jambes. Descendre. S’arrêter. Attendre. Au risque de ce qui pourrait arriver.

Je viens de terminer la lecture des journaux de voyage de Bashô, ermite poète japonais du XVIIe siècle inventeur de la forme moderne d’une poésie brève qui me tient à cœur, le haïku. Dans ces journaux, qu’il rédigea tout au long de sa vie, il mêle récit de ses périples, recension de ses rencontres, et poèmes composés la nuit, à partir d’une chose observée en route : un oiseau qui le regarde, une glycine en fleur. Il se retire de l’agitation du monde en s’y jetant, mais en changeant de regard, en faisant un pas, ou plutôt un arrêt de côté sûr les choses nouvelles qu’il trouve autour de lui. Sa retraite, son creusement,  la formulation de lui-même qu’il recherche, avec une angoisse permanente qu’il admet, passe à travers ce qu’il perçoit de l’extérieur. Qu’il ne garde pas pour lui. Il l’écrit pour le transmettre. D’une parole nouvelle issue de son silence. C’est peut-être cela qu’il faut faire avant tout, avant de partir. Comme lorsque l’on se prépare à un jeune en diminuant progressivement, une semaine avant le départ, la dose de nourriture ingéré afin qu’une fois sur place, la tête ne nous tourne. Là aussi, diminuer progressivement les mots, les paroles. Pour remettre à niveau les blancs, le vide sur la page. Cette trace de silence que je rêve d’entendre.

Alors,
se retirer

Pour retrouver un calme
qui lui, saura y faire.