La petite chatte noire, menue, trop menue, elle n’a probablement pas mangé depuis, depuis quand ? on n’était pas là, personne ne lui aura donné à manger. Menue, humble, fragile, elle ne réclame pas. On cherche ce qu’on pourrait lui donner, il n’y a presque plus rien, beaucoup de choses ont été mangées en votre absence. On pense à la boîte de sardines, on l’ouvre, la dépose au sol, les sardines bien serrées dans l’huile onctueuse, elle va les aimer, se dit-on, un peu étonnée de cette liberté audacieuse qui vous fait lui donner à manger une nourriture manufacturée pour les humains.
Ces douces petites bêtes noires qui vous visitent, sur la page, dans le rêve, il nous faut les traiter avec tendresse, les aider à vivre avec les moyens du bord.
Un rien peut écraser, affaiblir définitivement ces petits signes noirs, vies infimes, qui se risquent ici pendant qu’on n’écrit pas.
Christine Veschambre
Là où je n’écris pas, éditions Isabelle Sauvage, 82 p., 17 €
Se mettre à écrire, c’est ce moment fragile où l’on se met à formuler une peur, une joie, une nostalgie mêlée d’une bribe de rêve. Le texte qui en découle nous détermine dans l’instant, précède parfois notre prise de conscience. Il habite une page qui, déjà, ne nous appartient plus. Mais comment recommencer ? Avec quels nouveaux bouts et mots de soi et des autres reprendre l’écriture ? Et pour quelles émotions ? Avec Là où je n’écris pas, Christiane Veschambre, né en 1946, cofondatrice des revues de poésie Land et Petite et autrice d’une quinzaine de recueils, met en scène ces instants d’entrée en contact avec la « langue déambulatrice » en vers ou en prose poétique. Un peu de peur mêlée d’excitation jusqu’à ce moment où il devient « impossible de se détourner » face à ce « petit accident nucléaire cérébral », big bang d’où naîtra un poème nouveau. Christiane Veschambre n’occulte pas l’effort et la part de douleur dans ce processus d’écriture où les mots s’arrachent de soi. Mais c’est pour conquérir au fil de nos vies, de nouveaux espaces libres : « là où je / n’écris pas / on / peut écrire // peut-être ».
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°262 du 13 décembre 2024)