UPPLR #155 : Si le froid devait m’emporter, par Francine Bouchet

Si le froid devait m’emporter
J’assemblerais les fruits
De mes rêves de lune
Ils seraient eau
Ils seraient feu
Révélant ma présence
Sur un sentier de braises

Si la nuit devait m’emporter
Je creuserais la terre
Avec des ongles de fer
Au seul chant de ma voix
Des bêtes approcheraient
Traçant un cercle d’or
Qui protégerait mon corps

Si le souffle devait m’emporter
Alors je laisserais faire
Mes paumes s’ouvriraient
À la douceur du vent
Ni la nuque ni le tronc
N’opposeraient résistance
À l’appel du passage

Mais l’heure n’est pas venue
Près des arbres échevelés
Plusieurs pas dans la neige
Meublent le silence blanc

Francine Bouchet
Traverse. Et autres poèmes, Labor et Fides, 88 p., 14 €

Si, chaque année, au lendemain de la Toussaint, nous honorons nos morts, ce n’est pas seulement pour leur souvenir. Pas seulement pour s’assurer de leur présence vive en nous. Pas seulement pour l’entretien des tombes. C’est aussi pour s’autoriser à ressentir, tous ensemble au même jour, le tressaillement de nos vies. Publiés dans la très belle « Petite bibliothèque de spiritualité » des éditions Labor et Fides, les poèmes de Francine Bouchet, ancienne libraire et fondatrice des éditions pour la jeunesse La Joie de lire, nous accompagnent dans ce temps avec douceur et profondeur. « Le ruisseau est à sec / La terre tremble à bas bruit / J’écoute son absence », écrit-elle avec calme. Le terrain est propice, « Seule la prière compte ». Et pas de craintes sur ce qu’un jour, nous pourrions laisser, à notre tour, en témoignage du monde. « Le souffle marquera / nos traces innocentes. »

Stéphane Bataillon

(initialement paru dans La Croix l’Hebdo n° 155)