UPPLR #305 : Exercice du matin, par Henry Bauchau

À Adriano Marchetti

Chaque matin sans église
sur le béton farouche
entre l’ignorance et l’amour
je me prosterne
je me prosterne devant rien.

Quand je suis à ma juste place
instants, instincts, intermittences
de lumière et d’aveuglement
je me prosterne devant tout
je me prosterne plus profond.

Henry Bauchau
Exercices du matin, Actes Sud, coll. « Le Souffle de l’esprit », 48 p., 7,40 €

Poème également présent dans Prières d’écrivains, Anthologie d’Alain Sainte-Marie, Actes Sud, coll. « Le Souffle de l’esprit », 320 p., 18,80 €

Cet exercice, de l’auteur du poignant roman L’enfant bleu (Actes Sud, 2004), témoigne de l’intensité spirituelle du romancier, poète et psychanalyste belge, disparu en 2012. On retrouve avec joie sa plume dans le recueil Exercice du matin : une courte suite de poèmes à méditer, avec le corps, le silence et une forme particulière de retenue, signe de son souci constant d’établir une relation laissant à chacun sa plus haute liberté. Ce poème paraît conjointement dans une précieuse anthologie de poche. Prières d’écrivains présente plus de 130 prières, passant du cri à la contemplation, du questionnement à l’abandon. Alain Sainte-Marie, auteur de cette anthologie et lui-même écrivain, saisit le but de ce geste d’écriture, rituel permettant de retrouver sans cesse le « sens intime de l’absolu ». Michel Lonsdale, Emily Dickinson, Antonin Artaud ou Fiodor Dostoïevski tentent donc ces paroles singulières, engageants une confiance aveugle : « Je parle à Dieu mais le ciel est vide » écrit Sylvia Plath. Car la prière n’offre aucune assurance. Juste la certitude d’un tressaillement possible. D’un battement, George Herbert résume ce contrat aux clauses incertaines mais illimitées : « Tu m’as tant donné, /Donne-moi encore une chose encore : /Un cœur reconnaissant. »

Stéphane Bataillon

(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°305 du 24 octobre 2025)

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