Tout un symbole #13 : L’aigle, la majesté spirituelle en plein vol

Tout un symbole. Figure animale présente dans toutes les civilisations, l’aigle traverse toute la Bible, vecteur de la lumière divine descendant sur les hommes et véhicule de la montée de leurs âmes dans les cieux. Il est aussi un messager, les prévenant des tentations de toute-puissance.

Paru initialement dans La Croix, samedi 11 octobre 2025

« L’aigle, c’est le génie ! Oiseau de la tempête/Qui des monts les plus hauts cherche le plus haut faîte ; (…) Et dont l’œil flamboyant incessamment échange/Des éclairs avec le soleil ». Ces quelques vers de Victor Hugo, tirés des Odes et Ballades, rappellent la place particulière du grand rapace comme messager des dieux dans de nombreuses civilisations. Portant les foudres de Zeus dans la mythologie grecque, l’aigle est aussi un guide pouvant apporter aux hommes des messages du monde spirituel dans les cultures amérindiennes, celtiques et le chamanisme, où une plume de l’oiseau peut être utilisée dans les cérémonies de guérison.
Dans le même ordre d’idée, l’aigle représente la sagesse cosmique, perché en haut de l’Arbre-Monde Yggdrasil sur lequel reposent les neuf mondes de la mythologie nordique. Lui seul est capable de fixer la lumière du soleil, faisant pendant au lion qui, sur terre, impose sa force aux autres créatures. L’image, pour les puissants, est tentante, et se retrouve accaparée comme emblème du pouvoir, de César à Napoléon jusqu’à la présidence américaine. Un pygargue à tête blanche, rapace assimilé à l’aigle, ornant le Grand Sceau des États-Unis depuis 1782. Déjà chez les Sumériens, la représentation d’une bête fantastique, l’aigle à tête de lion, réunit ainsi les deux souverainetés, spirituelle et temporelle.

Le pouvoir de se régénérer

Dans la Bible, la majesté du vol de l’aigle, se déployant au fil des textes, met à part cet oiseau de nuit, catégorie considérée rituellement impure et que l’on soupçonne souvent, comme le hibou, d’avoir partie liée avec le monde des ténèbres. Dès le Deutéronome, l’oiseau est assimilé à Dieu gardant son peuple « comme la prunelle de son œil. Tel un aigle qui veille sur son nid plane au-dessus de ses petits » (Dt 32,9-13). L’image de l’aigle divin permet de magnifier, dans l’Exode, la sortie d’Égypte. Elle sublime le parallèle entre l’esclavage mortifère et la vie vivante, par l’ascension auprès de Dieu : « Vous avez vu vous-mêmes ce que j’ai fait aux Égyptiens, et comment je vous ai emportés sur des ailes d’aigle et amenés vers moi. » (Ex 19,4)

En raison de sa longue vie, pouvant atteindre selon les espèces jusqu’à quarante ans en captivité, on prête à l’aigle le pouvoir de se régénérer. Capacité que l’homme peut obtenir, cette fois individuellement, en se rapprochant de Dieu. Dans le Psaume 102, l’homme malheureux est « comme le hibou des ruines. Je reste éveillé, et me voici comme l’oiseau solitaire sur un toit. » Mais, dès le psaume suivant, la transformation s’opère : « Il (le Seigneur) nourrit de ses biens ta vigueur, et tu rajeunis comme l’aigle ». Des vers rappelant les versets d’Isaïe (40,31) : « Ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigle, ils s’élancent et ne se fatiguent pas, ils avancent et ne faiblissent pas ».

Un porteur de lumière

Reprenant l’idée de la double royauté céleste et terrestre, la symbolique chrétienne associe souvent le Christ aux deux animaux. L’aigle étant plus particulièrement utilisé comme attribut de son Ascension dans le ciel. La direction de son vol est significative. En vol ascendant, l’aigle emporte l’âme des morts sur ses ailes. On le retrouve ainsi gravé sur des lampes à huile ou des sarcophages chrétiens anciens. En vol descendant, c’est la lumière, associée à la parole divine, qu’il apporte aux hommes. Dans le Nouveau Testament, l’aigle symbolise d’ailleurs avant tout l’évangéliste Jean. Aigle en plein vol, il est le quatrième Vivant de l’Apocalypse, en souvenir de la figure fabuleuse du tétramorphe, l’ensemble des quatre créatures ailées tirant le char de la vision d’Ézéchiel, dont l’un des quatre visages est celui d’un aigle. Cette identification de Jean à l’aigle dans le dernier livre de la Bible renvoie au prologue de l’Évangile de l’apôtre, justifiant cette similitude au plan spirituel : « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. »

Mais bien plus, il renvoie aux tout premiers versets de la Genèse, la lumière sortant des ténèbres. Un dernier aspect de cette dynamique entre ciel et terre, vie et mort, descente et ascension qui est aussi un avertissement : celui de ne pas avoir la tentation de se confondre avec l’aigle. Car le risque serait grand de se brûler les yeux (et les ailes), au contact d’une lumière divine trop forte. La face sombre du symbolisme de l’aigle nous le rappelle. Lorsqu’il regarde à gauche, il indique une puissance pervertie, orgueilleuse et tyrannique. Passage du Christ à l’Antéchrist, l’aigle, alors, n’use plus de ses serres que pour broyer cruellement ses proies.

Sachant tout cela, il est éclairant de revoir les clichés d’une séance photo organisée par le magazine Time en 2015 avec l’alors candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle américaine, Donald Trump. Posant avec un aigle le regardant à gauche, le volatile se montra récalcitrant et alla jusqu’à décoiffer le futur président ! Un signe d’avertissement, peut-être, pour le garder de tomber dans l’hubris et le sentiment de toute-puissance. Mais les messagers, qu’ils soient animaux ou prophètes, ne sont pas toujours écoutés même par ceux qui font confiance à Dieu.

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