Notre-Dame est bien vieille ; on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître.
Mais dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !
Bien des hommes de tous les pays de la terre
Viendront pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
— Alors, ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort !
Gérard de Nerval, Odelettes (1831)
Deux hommes, un édifice, et l’amitié. Publiée en décembre 1831 dans la revue L’Almanach des muses, cette « odelette », court poème lyrique, de Gérard de Nerval fait écho au roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, qui a été publié en mars de la même année. Au-delà de l’intrigue magistrale mettant en scène Quasimodo et Esmeralda, c’est un vibrant plaidoyer pour défendre l’édifice contre ses détracteurs et offrir la puissance de la fiction en garantie (voir notre récit graphique). Nerval est un partisan d’Hugo, faisant « la claque » en sa faveur lors de la représentation de sa pièce Hernani qui déclencha la célèbre polémique. Il est également membre du Petit Cénacle rassemblant à cette époque les jeunes romantiques autour de la figure d’Hugo. Le poème est à lire dans ce contexte, même si l’élégance de ces vers suffit pour magnifier la puissance de suggestion de la cathédrale, source de rêves et d’admiration bien au-delà de l’usure du temps. Pas question de ruines, tant que les hommes se porteront au chevet de Notre-Dame.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°260 du 29 novembre 2024)