Un poème pour la route #270 : Pourquoi donc ce visage, par François Cheng

Pourquoi donc ce visage
Pourquoi cette voix
Pourquoi ce singulier
Sans qui pourtant
la vie ne serait pas
La vie foisonnante, multipliée
Vaste tel un été bourdonnant
Tel un lâcher de colombes
dans l’azur déchiré
Mais de loin en loin
toujours au-dehors de soi

Pourquoi ces mots de fièvre
murmurés dans la nuit
Qui seuls font battre le cœur
et remuent le sang
Pourquoi sur l’écume du temps
La vie foisonnante, multipliée
Qu’un seul regard retient
Regard en qui la vie s’est re-connue
re-trouvée
Et s’offre enfin
en don total

François Cheng
Le long d’un amour, Ed. Arfuyen (2003)
Extrait de 15 – Service d’Aide aux Mots Universels
Anthologie du Printemps des poètes 2025
Ed. Bruno Doucey, 296 p., 22 €.

Les poèmes de François Cheng naviguent toujours dans l’entre-deux des visages et de leurs voix. Dans ce vide-plein nécessaire à la relation. Né en Chine en 1929, naturalisé français en 1971 et membre de l’Académie Française depuis 2002, le grand poète sait, mieux que quiconque, lancer des ponts entre les cultures, par-delà les différences. Un même mouvement de beauté, pour célébrer les tressaillements de la vie. Ces moments où elle se « re-connaît » d’un regard, y compris lorsque la mort approche, apprivoisée grâce à son célèbre essai Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie (Albin Michel, 2013). Son poème rejoint les voix de 127 poétesses et poètes venus du monde entier qui se retrouvent dans cette anthologie publiée à l’occasion du Printemps des poètes 2025. Une conversation où Cheng peut passer le flambeau des « voleurs de feu » à Esther Abuma, la benjamine, née en 2002 à Gouma (RD-Congo), qui annonce « je suis celle qui rallume les lampes de vos cœurs ».

Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo N°270 du 14 février 2025)

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