Les plus vieux savants pensaient déjà
que nous sommes habités par l’âme
quelque part notre corps devait être
ce qu’il était mais en même temps être
quelque chose d’inimaginablement différent
la science pure et dure a maintenant montré
que c’est en effet le cas
on a regardé avec les plus belles machines
le moment et l’endroit où nos molécules se transforment
en quelque chose d’aussi volatile
qu’un souvenir heureux
et le moment et l’endroit où ce souvenir
disparaît dans ces molécules
au même moment et au même endroit
et, oui, les écrans sont restés vides
et les imprimantes sont restées silencieuses –
c’est la preuve la plus convaincante.
Rutger Kopland
La Chimie de l’âme, précédé de Songer à partir et de Souvenirs de l’inconnu
Traduit du néerlandais par Paul Gellings
Poésie/Gallimard, 240 p., 10,30 €
Né à Goor aux Pays-Bas en 1934, médecin puis professeur de psychiatrie biologique, Rutger Kopland a peu publié durant les cinquante ans d’une carrière littéraire parallèle. Une quinzaine de courts recueils, avant sa mort en 2012, dont Songer à partir et Souvenirs de l’inconnu, déjà publiés en français et rassemblés dans cette nouvelle anthologie de poche. Des poèmes qui, comme l’écrivait Jean Grosjean, « se réduisent au vital ». « Le temps – c’est étrange, c’est étrangement beau aussi de ne jamais savoir ce que c’est/et pourtant, combien de ce qui vit en nous est plus vieux/que nous-même, combien de tout cela va nous survivre. », note Rutger Kopland dans La Chimie de l’âme, partie inédite de l’œuvre donnée ici à lire. Kopland capture dans ces poèmes des éléments très concrets, vivants ou inertes, du quotidien, les genévriers, le chant du merle, une nacelle sur une vieille carte postale, une petite chaussure. Un inventaire minuscule pour dire tout l’univers et transmettre l’expérience de cette vie parmi d’autres.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°281 – semaine du 2 mais 2025)