Un poème pour la route #286 : Par un jour clair, par Giacomo da Lentini

A l’aire claro ò vista ploggia dare,
ed a lo scuro rendere clarore ;
e foco arzente ghiaccia diventare,
e freda neve rendere calore ;

e dolze cose molto amareare ;
e de l’amare rendere dolzore ;
e dui guerreri infin a pace stare,
e’ntra dui amici nascereci errore.

Ed ò vista d’Amor – cosa più forte,
ch’era feruto e sanòmi ferendo,
lo foco donde ardea stutò con foco ;

la vita che mi dè fue la mia morte,
lo foco che mi stinse ora ne ’ncendo,
d’amor mi trasse e misemi in su’ loco.


Par un jour clair j’ai vu tomber la pluie
Et de l’obscur émerger la lumière,
Un feu ardent en glace se changer,
Et froide neige la chaleur engendrer.

Douceur j’ai vu tourner en amertume
et l’amertume en douceur convertie
et deux guerriers finir par faire trêve,
La brouille naître entre deux bons amis.

Mais d’Amour j’ai vu de plus grands prodiges :
Blessé, par la blessure je guéris,
Le feu calma le feu dont je brûlais.

Signa ma mort la vie qu’on me rendait,
Et me consume un feu qui m’éteignit.
D’amour je me délivre et suis à sa merci.

Giacomo da Lentini (1210-1260)
Sonnets
Traduit de l’italien par Pierre Laurens
Texte italien établi par Roberto Antonelli.
Éd. Eliott, coll. Les langues du poème, 80 p., 10 €.

Giacomo de Lentini n’est pas seulement le premier poète lyrique italien écrivant au XIIIe siècle en sicilien, première langue vulgaire de la péninsule après le déclin du latin. Il est aussi l’inventeur d’une forme poétique, le sonnet, qui marqua jusqu’à nos jours la poésie occidentale. Une forme de quatorze vers « assez pour enfermer un raisonnement, assez peu pour être envisagée d’un coup d’œil » comme l’écrit Pierre Laurens dans le prologue de cette première version intégrale en français de ces 22 sonnets fondateurs. Au feu de l’Amour, ce « feu qui flamboie et où se brûle le papillon, mais dans lequel renaît le phénix », mais aussi celui du fin’amor hérité des troubadours, la poésie de celui qui fut le chef de file de l’école poétique sicilienne à la cour de Frédéric II mêle pour la première fois des réflexions philosophiques, scientifiques, médicales. Placée au-dessus des poètes de tous les temps par Paul Valéry, inspirant les sonnets de ses illustres successeurs, Guinizzelli, Cavalcanti et Dante, la redécouverte de la poésie de Lentini dans cette édition soignée est un voyage sublime aux sources de l’expression des sentiments.

Stéphane Bataillon

(Chronique initialement parue dans La Croix l’hebdo n°286 du 6 juin 2025)

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