Un poème pour la route n°279 : Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome, par Joachim du Bellay

Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.

Vois quel orgueil, quelle ruine et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.

Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit,

Reste de Rome. Ô mondaine inconstance !
Ce qui est ferme est par le temps détruit,
Et ce qui fuit au temps fait résistance.

Joachim du Bellay
Les Antiquités de Rome (1558)

Certaines visites déçoivent, à la mesure de l’attente qu’on y avait porté. Mais cette déception peut, tout comme l’enthousiasme, participer à renouveler l’image de ces lieux qui, comme Rome, sont chargés de tant de destins et d’histoires. C’est le cas des sonnets de Joachim du Bellay publiés en 1558 dans le recueil Les Antiquités de Rome. Le poète de la Pléiade, dont l’œuvre a été fortement inspirée par l’Italie, particulièrement dans les 115 sonnets de L’Olive, publié en 1550, est pourtant extrêmement déçu de son séjour à la cour de Rome dès 1553, au service de son cousin, le cardinal Jean Du Bellay, puissant doyen du Sacré Collège. Ce poème, à première vue désabusé, en est le témoignage. Il y pose la question de la fuite du temps, d’une beauté qui se fane et d’une puissance d’attraction perdue. Mais derrière la déception, le poème est une invitation à regarder la ville avec les yeux du présent pour se plaire à imaginer avec de nouvelles vues « notre » Rome. Car si Du Bellay renonce ici au rêve d’une continuation de l’Empire romain, c’est pour mieux ouvrir la ville éternelle et ses contemporains à l’avenir cosmopolite d’une cité toujours en mouvement. À chacun d’y participer et d’y offrir, au fil de ses déambulations, un bout de sa légende.

Stéphane Bataillon

(Paru initialement dans le numéro 279 Spécial Rome de La Croix l’hebdo du 18 avril 2025)

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