UPPLR #198 : Les mots qui consolent, par Abdellatif Laâbi (Le Castor Astral)

Il y a des mots
qui consolent
protègent
Détachés de leur usage
silencieux
nus
Nous les écrivons
pour mieux les savourer
en garder la mémoire
et pourquoi pas
les transmettre

Que chacun
prenne une feuille
de quoi écrire
et se prête
à l’exercice !

Abdellatif Laâbi


La Terre est une orange amère
, Le Castor Astral, 149 p., 16 €

La poésie, une solution ? Assurément, selon Abdellatif Laâbi, qui en usa toute sa vie afin de lutter contre les dictatures et retisser les liens au-delà des silences terrifiés, des replis ou du fracas des bombes, d’hier à aujourd’hui. « Je sais / qu’il y a de l’indécence / à écrire sur la guerre // Je le fais quand même / car j’estime / qu’il serait criminel / de se taire ». Né en 1942 à Fès, lauréat, entre autres, du Goncourt de la poésie, il se livre dans ce dernier recueil à un bilan rempli d’espérance, plaçant son art au centre des moyens donnés à l’homme, sans tambours ni trompettes, pour affirmer son humanité face au pire et aux haines. « De la poésie ou de l’amour / lequel m’a sauvé le plus ? », s’interroge-t-il. « De quoi d’ailleurs / faudra-t-il préciser : (…) de la désaffection de la conscience / de la paralysie de la peur / des pulsions de la violence / de la justification / de ce qui ne peut être justifié (…). » Il le fait avec lucidité, conscient de la force immense mais pas ­illimité de l’usage des mots, de son économie, comme d’une non-puissance dans ce monde surabondant : « je ne pense pas avoir changé / d’un iota / la vie / ou plutôt l’invivable / d’un seul de mes semblables // Je me console en ­disant : Au moins / je n’aurais fait de mal à personne. »

Stéphane Bataillon