UPPLR #202 : Voyage et destination, par Miriam Van hee

je veux parler je crois de points de repère, une
vue par exemple, les contours de montagnes qui
s’esquissent dans la brume, des cyprès, un tilleul, un
rideau de dentelle entrouvert, des gouttes sur les chaises

de la terrasse, du tangible et c’est vrai,
dans d’autres villes nous faisons plus attention, regardons
les mégots et la poussière sur la chaussée, les herbes folles
sur le trottoir, nous sentons l’air qui monte des grilles

du métro, nous nous demandons qui vit sous les toits de tôle
ondulée, voulons dire des oiseaux quelque chose qui leur
rende justice, à les voir conférer sur les fils électriques
dans l’attente d’un signe, nous voulons dire quelque chose

Miriam Van hee

Entre bord et quai, traduit du néerlandais (Belgique) par Philippe Noble, Cheyne éditeur, 112 p., 22 €

À pied ou à vélo, en train ou dans nos rêves, nous ne cessons de voyager. Et des images se forment, mélange de paysages, connus ou découverts, et de nos émotions. Soudain, on remarque en bas de chez soi une touffe d’herbe sortant du bitume, sûrement là depuis longtemps, qui fait remonter des souvenirs d’enfance, comme ces galets ramassés sur la plage qui semblent s’animer : « leur face la plus belle se montre au promeneur, comme s’ils requéraient notre attention mais ils cachent des choses, arête coupante, tache noire ou blessure ». Née à Gand en 1952, Miriam Van hee propose dans Entre bord et quai une traversée dans le concret. Mais un concret dont les limites se brouillent, se teinte d’incertitude, de retours en arrière, d’un parfum de merveilleux qui rappelle les contes. À la lecture, une impression d’étrange familier, renforcée par le texte bilingue en néerlandais et des coupes a priori arbitraires entre les strophes mais qui, au fil des pages, tisse les fils du réel, entre songes, observations et souvenirs, dans une étoffe unique. L’expérience d’une parole pour dire un peu plus que sa simple vie, afin de nous permettre d’entrer en communion, de s’approcher ensemble de l’essence des choses sans en ajouter trop.

Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°201 du 6 octobre 2023)