Je me rappelle sans cesse les chevaux
sous la lune
je me rappelle lorsque je donnais du sucre
à manger aux chevaux
des rectangles blancs de sucre
comme de la glace,
et ils avaient des têtes comme
des têtes chauves d’aigles qui auraient pu mordre mais
n’en faisaient rien.
Les chevaux étaient plus réels que
mon père
plus réels que Dieu
et ils auraient pu m’écraser les
pieds mais ils n’en ont rien fait
ils auraient pu faire toutes sortes d’horreurs
mais ils n’en ont rien fait.
J’avais presque 5 ans
mais je n’ai pas oublié ;
Ô mon dieu ils étaient forts et bons
Leurs grands coups de langue rouge
et baveuse venus de l’âme.
Charles Bukowski
Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines
traduit de l’anglais (États-Unis) par Thierry Beauchamp
Au diable vauvert, 272 p., 21 €
Les nouvelles venant des États-Unis n’étant pas réjouissantes, la nouvelle édition d’un ouvrage culte de la contre-culture américaine, Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, de Charles Bukowski, fait du bien. C’est une chronique nue et sans concession de l’Amérique pauvre de la fin des années 1960, celle où « les rats s’activent entre les canettes de bière ». Publié en 1969, ce recueil de l’auteur phare de la beat génération capte les tranches de vies, les tourments, et la vérité humaine dans sa lumière la plus crue. Loin des discours (et des images) préfabriquées, la langue de Bukowski éclate, révèle, épouse le réel pour dire, en 90 poèmes, ce qui se voit, s’entend, se sent d’une humanité oscillant toujours entre grandeur, misère, et miséricorde. « Certains sont jeunes et rien/d’autre et/certains sont vieux et rien/d’autre/et certains sont entre les deux et juste entre les deux »… Des constats simples, bruts, enflammés par un rythme inimitable. La poésie de Bukowski est un remède idéal pour se soustraire à la déferlante des fake news générées par IA. La vie, elle, se trouve là.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°302 du 4 octobre 2025)