UPPLR #162 : Galets, par Herman Melville (éditions Unes)

I.

Bien que le Météorologue insiste
Pour édicter la loi du temps,
Damier du Cap et fou de Bassan savent fort bien
Que les vents soufflent où bon leur chante
Dans la tempête ou la bourrasque.

II.

Anciennes sont les croyances, mais éculées les écoles,
Retapées au gré des modes fluctuantes.
Mais Orm(1) délaisse les écoles pour les plages
Et trouvant une Conque blanchie par le temps, il s’arrête
Et la porte, déférent, à son oreille.
Cette Voix monotone, venue de loin,
Fera-t-elle un écart ? déviera-t-elle un jour ?
Les Mers l’ont inspirée, et la Vérité —
La Vérité, qui jamais ne dévie de ce qu’elle est.

III.

Dans les creux des collines liquides
Où courent les longues Crêtes Bleues,(2)
Nul écho flatteur ne frémit,
Car les mers ne connaissent pas d’écho ;
Ni rien qui renvoie à l’homme sa mélodie —
L’espoir de son cœur, le rêve de son esprit.

Herman Melville

Poésies. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thierry Gillybœuf, Unes, 592 p., 37 €

(1) Moine mystique du XIIe siècle ayant proposé une exégèse des Écritures en vieil anglais : l’Ormulum

(2) Possible évocation des Blue Ridge Mountains, dans les Appalaches

Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :

 

Lorsqu’il compose ses poèmes, dans les trente dernières années de sa vie, l’auteur de Moby Dick ou de Bartleby est bien loin d’avoir atteint le statut de monument de la littérature. Après des premiers succès (Taïpi en 1846 ou Mardi en 1849), l’échec littéraire oblige l’ancien marin inspiré à devenir, sans illusions, employé comme inspecteur des douanes du port de New York. Il publiera ses vers majoritairement à compte d’auteur ou chez de très petits éditeurs. Ainsi, ces Galets, faisant partie d’un recueil de 1888, John Marr et autres marins, tiré à seulement 25 exemplaires, le nombre de lecteurs qu’il pensait lui rester. Une occasion de se replonger, à 70 ans, dans les portraits de marins et les parfums d’embruns de sa jeunesse, avec grandeur et mélancolie. Les éditions Unes proposent pour la première fois une traduction intégrale de ces poèmes, prévue en deux volumes, accompagnée d’une riche préface du traducteur permettant de cerner la réalité de cet homme honnête et scrupuleux, qui tenta de vaincre de sa plume les abysses de la mort et de l’oubli.

Stéphane Bataillon

(Article initialement paru dans La Croix L’hebdo n°162 du 16/12/2022)