UPPLR #211 : En train, par Jâleh Esfahâni

le ciel défile
les nuages défilent
les plaines défilent les montagnes défilent
les forêts vertes et épaisses défilent
les fleuves défilent
les rivières défilent
les villages défilent
les villes défilent
les plaines et les plateaux défilent défilent défilent
les vagues agitées de la mer défilent
le sang rouge des veines défile
les pensées défilent
l’existence défile
le chemin défile défile défile
les vagues les fontaines la lune défilent
la vie bon gré mal gré défile
et moi je me retire du monde, va savoir pourquoi

Jâleh Esfahâni (Iran, 1921 – Royaume Uni, 2007)
Extrait de Souviens-toi de l’envol. Voix féminines de la poésie persanophone, Poèmes choisis et traduits par Franck Merger et Niloufar Sadighi.
MaelstrÖm ReEvolution, 290 p, 18 €.

De la poésie persane, on ne connaît bien souvent que Rumî, le poète et mystique soufi, ou Omar Khayyam et ses fameux quatrains déployant l’ivresse de Dieu. Pour la première fois en français, un vaste panorama de la poésie féminine persanophone tente de nous ouvrir les portes d’un univers bien plus vaste. Il aura fallu sept ans de travail aux auteurs, Frank Merger et Niloufar Sadighi pour rassembler et traduire les poèmes de plus d’une soixantaine d’autrices qui, du Moyen Âge à nos jours, ont fait résonner leurs voix, dans une aire géographique aux frontières mouvantes comprenant l’Iran, l’Afghanistan, l’Inde mongole et le Tadjikistan. Qu’elles soient restées dans leur pays, ou qu’elles aient dû rejoindre la diaspora suite à un exil souvent forcé, ces femmes usent d’une parole subtile pour défendre leurs droits et la liberté d’expression. Une poésie de lutte et de courage, mais qui mêle aussi le désir, la sensualité, l’humour ou la mélancolie, comme ce texte de Jâleh Esfahâni, poétesse née en Iran en 1921 et contrainte à l’exil, de Moscou au Royaume-Uni, jusqu’à sa disparition en 2007. Dans un autre texte, la poétesse espère « si on me demandait ce qu’est la vie/je répondrais/chercher toujours/désirer un monde meilleur ». Un nouveau monde qui germe au cœur du poème.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°211 du 8 décembre 2023)