Ce n’est pas l’air océanique
ou l’air balsamique des hauteurs
ce n’est pas le reflet émeraude
la brume de la forêt profonde
ni l’odeur de l’argile rouge
ou des terres acides de bruyère
ni l’air rare du grand cèdre venu
depuis la paume d’anciennes guerres
c’est l’air humide du bras d’un fleuve
et son drap vert parcouru d’ombre
charriant dans un même élan
des flots de pollen et d’ordures
on respire dans une geste grave
un cercle de vie bouillonnant
où survivent les runes et les traces
des passages d’herbes, d’hommes ou d’oiseaux.
Cécile A. Holdban
Le Rêve de Dostoïevski
Éditions Arfuyen, 176 p., 16 €
Qu’est-ce qui distingue la folie de la normalité dans un monde disloqué ? Et comment signifier notre humanité dans nos gestes et nos réactions aux événements, alors que tout tend à nous ramener aux plus tristes passions ? Pour répondre à ces questions, Cécile A. Holban propose un rythme plus qu’un geste : « Ne précipite rien, trouve ta forme, l’ombre/glisse sous tes ailes/l’épaule des collines se hausse ». Poète, traductrice, peintre et illustratrice d’origine hongroise née en 1974, elle redonne force à un mode de vie et de relation à la nature qui souvent, dans l’histoire, fut mis dans les marges : celles et ceux que l’on qualifiait de fous ou de sorciers et que la tradition yiddish présente par la figure du shlemiel. Mais s’il y a folie, en parcourant ces pages à la langue limpide, c’est cette prise de conscience de ne plus être complètement capable de s’arrêter pour observer le vivant autour de nous. Non pas dans une admiration béate, celle d’une nature fantasmée et sans crainte, mais dans un silence qui prend au sérieux le souci de réfléchir, au cœur de la langue, au cœur du poème, les émotions reçues de ces contemplations. « Trois baies/une brindille/l’inventaire pourrait cesser là/s’il n’y avait ce petit or/que chacun espère secrètement forger/dans la banalité du jour. » Un rêve qui peut, d’une intention, devenir réalité.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°289 du 27 juin 2025)