Critique : The New Yorker. L’encyclopédie des dessins d’humour

La classe américaine
(critique initialement publiée dans La Croix L’Hebdo du 26/10/2019)
The New Yorker. L’encyclopédie des dessins d’humour, par Bob Mankoff et David Remnick : deux sublimes volumes présentent le meilleur du dessin d’humour, tiré des archives du célèbre hebdomadaire américain. Un régal.

Depuis 1925, le New Yorker est une institution. L’un des hebdomadaires les plus admirés de la presse américaine, voire mondiale. Grâce à ses enquêtes au long cours, comme ce reportage sur Hiroshima publié sur un numéro entier en 1946, ses nouvelles signées par Vladimir Nabokov, Philip Roth ou Haruki Murakami. Grâce à ses couvertures, toujours illustrées, accueillant Sempé ou Art Spiegelman. Mais grâce, avant tout, à ses cartoons. Des dessins d’humour en noir et blanc, souvent agrémentés d’une légende, célèbres dans le monde entier. Insérés au fil des articles chaque semaine, ils ne réagissent pas directement à l’actualité mais saisissent l’air du temps avec ironie, distance et sophistication.

Les Éditions des Arènes et Jean-Loup Chiflet publient et traduisent régulièrement depuis plus de dix ans ces chefs-d’œuvre dans une collection de livres thématiques. Cette encyclopédie des dessins d’humour, entreprise titanesque en deux beaux volumes, passe à la vitesse supérieure. De la Bible aux impôts, de Facebook au yoga, en passant par l’éducation, les magiciens ou les ovnis, plus de 340 thèmes couvrant tous les sujets agitant notre époque sont abordés, chacun illustré par une sélection de sept à huit dessins. On y croise Chas Addams et sa célèbre famille, le trait subtil de Saul Steinberg, mais surtout la génération actuelle des dessinateurs, tels Eric Kaplan (qui signe BEK) ou David Sipress, et des dessinatrices (une seule en 1980, plus d’une dizaine aujourd’hui) comme Liza Donnelly ou Liana Finck.

Cette manne de plus de 3 000 dessins, dont 2 500 inédits en français, est l’occasion de comparer les styles et d’observer la façon dont ces humoristes s’emparent des sujets qui saturent le débat public, comme l’influence des téléphones portables ou le renouveau du féminisme. Un art fragile, qui nécessite de manier à la perfection les stéréotypes. Ces clichés qui, comme les nouveaux mots dans le dictionnaire, doivent avoir eu le temps d’intégrer l’inconscient collectif pour fonctionner dans ces dessins qui n’ont qu’un but: faire mouche.

L’émotion que provoque leur lecture est à mille lieues de celle de l’humour vulgaire qui inonde les réseaux. Certes, dans les cartoons du New Yorker, on parle aussi de chatons… mais avec subtilité. Un léger décalage qui provoque un sourire complice, nous renvoyant toujours à nos propres travers. Précaution d’usage: mieux vaut déguster ces 1 500 pages par petites touches pour ne pas risquer l’indigestion. Un contact quotidien avec cette «crème de la crème» de l’humour teintera l’existence d’une joyeuse élégance.

Stéphane BATAILLON


Traduit de l’américain par Jean-Loup Chiflet, Les Arènes, 2 volumes sous coffrets, 1 500 p., 149 €