Tarkos, Lorentzatos, poésie palestinienne : les marques-pages de mars 2022

Les marques-page poésie parues dans le cahier Livres & idées de La Croix du 10 mars 2022

Le Kilo et autres inédits
de Christophe Tarkos
Édition établie par David Christoffel et Alexandre Mare, P.O.L, 800 p., 32 €

Après les Écrits poétiques (2008) et L’Enregistré (2014), Le Kilo est le troisième volume d’œuvres posthumes de Christophe Tarkos (1963-2004). Un poète qui n’a cessé de surprendre et d’inspirer ses congénères par son utilisation à la fois sérieuse et ludique d’une langue qu’il malaxait comme une « pâte-mot », selon son expression. Le volume accompagne la première grande exposition consacrée au poète, jusqu’au 15 mai au Centre international de poésie (Cipm) de Marseille. Il devait à l’origine en être le simple catalogue, mais, de par la richesse d’inédits complets retrouvés (textes, dessins, notes et correspondances) il s’est transformé en cette somme savoureuse, établie avec passion par deux grands connaisseurs de l’œuvre. Expérimentales, graphiques, lyriques, les pièces présentées sont diverses.

Deux textes principaux, Le Kilo, d’une centaine de pages, et La terre, après le mouvement, alternent avec des vers d’une ligne, étincelles de parole, anodines et saisissantes, comme « les bâtiments bâtiment », « La balance pour peser les choses est une balance normale, il n’y a aucun mystère. Deux plateaux sont en équilibre. » ou « Un troupeau de brebis passe dans le village, il n’en manque pas une, c’est le retour. » Pour découvrir sans plus attendre Tarkos, on conseillera, en amuse-mot, le documentaire hommage réalisé par David Christoffel, Il est important de penser, disponible en ligne. L’œuvre, si foisonnante, pourra dérouter au premier abord. Mais plonger en Tarkos vaut la peine. Et avons-nous vraiment le choix ? « Il n’y a pas d’autre langue que la langue, écrit-il. Il faudra essayer d’entrer. »

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Le Centre perdu
de Zissimos Lorentzatos
Traduit du grec par Jacques Touraille
Allia, 64 p., 6,50 €

« Personne ne croit plus un mot de ce que dit le poète en notre siècle. Tous s’attachent aux paroles, non à ce qui est dit. (…) Ainsi un jour (pour eux) la poésie a cessé d’être la vérité, et la vérité a cessé d’être poésie. » Dans cet essai percutant, publié pour la première fois à Athènes en 1962, le grand poète et critique grec Zissimos Lorentzatos pointe la coupure, qu’il juge délétère, entre poésie et métaphysique. Il prend exemple sur trois figures poétiques de notre Hexagone pour orienter la nécessaire refondation de l’art poétique auquel il aspire : Lautréamont, Arthur Rimbaud et Antonin Artaud, « voyants » nous dirigeant par leurs écrits vers ce « centre perdu », essentiel indicible. Un document qui conserve toute son actualité.

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Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui
Textes choisis et traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi, réunis par Yassin Adnan
Points, 192 p., 7,90 €

Une anthologie inédite pour distinguer les thèmes et les manières nouvelles de chanter chez 26 poètes né(e) s depuis les années 1970. Vivant en Palestine ou parmi la diaspora, ils succèdent aux figures telles que Mahmoud Darwich, qui firent que cette terre « soit devenue en soi une poétique », comme le relève Abdellatif Laâbi, maître d’œuvre de ce florilège. Une poésie franche et forte, abordant le désir, les frustrations contemporaines, le désir de voyage, tissée de mémoires, de cris et de remise au jour de la beauté offerte, comme dans ces vers de Yahya Achour, que le bruit des roquettes ne peut recouvrir : « Un jour/j’accompagnerai le soleil/dévalant/l’escalier du ciel/afin de dormir/dans la mer. »

Stéphane Bataillon

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