Ponçage toujours, tous les jours. Le goût de la poussière sur la langue. Comme un goût de cendres. Toute l’amertume du chantier en une saveur concentrée. Celle de la sueur salée des maçons. Celle du marteau pointe du menuisier. Celle du métal coupé des gaîneux. Celle du sourire du plombier. Celle des poignées de main rudes et calleuses des collègues. De tous les collègues. Rudes. Une main douce dans la sienne c’est comme une surprise. Presque un accident. C’est comme un bonbon pour les doigts. On a envie de la retenir. La douceur de la main. Douce. On l’imagine propre, toujours. On l’imagine chatoyante, dans son salon. On l’imagine, savante avec les mots. On l’imagine, douce sur sa joue. On la retient. Encore un tout petit peu. Pas celle des collègues. Et toujours dans la bouche, cette saveur de labeur. Comme une aigreur.
Charlotte Minaud
Murs/Fragments de chantier
Décharge, coll. Polder, n°206, 64 p., 7 €
La collection Polder, émanation de la revue de poésie Décharge désormais en ligne (dechargelarevue.com), propose par abonnement quatre petits recueils par an donnant à lire trouvailles et découvertes de voix souvent nouvelles. La dernière livraison présente ainsi une plongée dans le quotidien d’un chantier. Son autrice, Charlotte Minaud, est elle-même ouvrière. Peintre en bâtiment, elle a mis par écrit les gestes et les habitudes singulières de sa profession lors d’un atelier de création littéraire à l’université de Cergy. De tous les gestes techniques qu’elle a dû accomplir, le ponçage est celui qu’elle décrit comme « le plus ingrat, le plus invisible, le plus douloureux, le plus sonore » mais aussi « le plus sensuel, le plus essentiel ». Ces courts textes en prose nous plongent dans la vie de ces collectifs. Sans pathos, sans exaltation, sans noircir le tableau, Charlotte Minaud livre l’essentiel de ce qui se joue derrière les constructions et les rénovations des lieux, hôpitaux, écoles, Ehpad ou usines : la création de liens, de pleins et de silences, d’heures perdues ou épuisantes, avec en bande-son « la radio qui donne des nouvelles. Du monde ». Une écriture rythmée, à l’os, alternant pensées et descriptions qui donnent une consistance nouvelle et une incarnation au mot « pénibilité », si souvent employé pour parler de ces métiers en première ligne.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°285 – semaine du 30 mai 2025)