Reportage : Au Dorothy, un café, Jésus et l’utopie

(Article initialement paru dans La Croix L’Hebdo du 29/07/2023)

Café associatif et solidaire chrétien situé au cœur du 20e arrondissement parisien, le Dorothy tente depuis cinq ans de concilier la force de l’Évangile et l’engagement citoyen. À l’heure des JMJ, nous avons passé une semaine dans ce tiers lieu atypique, animé par de jeunes catholiques qui refusent de choisir entre leurs combats pour changer le monde et leur besoin de transcendance.

Pourquoi nous l’avons fait ?
Très attendues dans la vie de l’Église, les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) ont lieu à Lisbonne du 1er au 6 août. D’après un sondage publié dans La Croix à cette occasion, une partie de la jeunesse catholique française participant à l’événement se replierait sur les courants traditionalistes pour assouvir son besoin de sacré et de transcendance dans un monde chahuté. D’autres chrétiens préfèrent réaffirmer ce même besoin de foi dans le champ de la critique politique et sociale, se référant entre autres à l’encyclique Laudato si’ du pape François. Un positionnement qui est celui du café Le Dorothy, lancé il y a cinq ans par une équipe de jeunes catholiques trentenaires et diplômés, menés notamment par Anne Waeles et Foucauld Giuliani, auteurs de La Communion qui vient (Éd. Seuil, 2021). Ces deux professeurs de philosophie y affirmaient, avec leurs amis, leur désir d’allier foi et engagement citoyen pour peser sur le monde, tout en repensant leur rapport à l’institution. Nous avons décidé de nous poser dans ce café, animé par une équipe en renouvellement constant, afin d’observer, cinq jours durant, comment cette ligne se traduisait en rencontres et en actes. Avec la saveur des nouveaux regards et la magie de liens naissants, chronique d’un tiers lieu où s’inventent au fil des jours d’autres modalités pour vivre et se vivre en chrétien.

Lundi 12 juin

15 heures. La chaleur est étouffante. Dans le bus qui remonte la longue rue de Ménilmontant, la tension est palpable, les altercations entre passagers plombent la ligne 96. Je rêve déjà d’une bière. Pas de terrasse ni de devanture à l’adresse du Dorothy, situé au numéro 85 bis, à égale distance de la paroisse Notre-Dame-de-la-Croix, propriétaire des lieux, et de l’association de lutte contre la cybersurveillance La Quadrature du Net. À la place, un long couloir sombre plutôt dissuasif. N’écoutant que ma conscience professionnelle (et ma soif), je m’y engouffre. Une fois la porte poussée, le contraste est saisissant. Une vaste pièce inondée de lumière, donnant sur un jardin, petit Éden au cœur du bitume. Éclairage soigné, fauteuils en cuir vintage, et belle bibliothèque où se côtoient des numéros du journal de critique sociale CQFD (« Ce qu’il fallait détruire »), d’Études (la revue jésuite), de Projet (revue éditée par le Centre de recherche et d’action sociales) ou de Limite (ancienne revue d’écologie intégrale) et des livres sur Dorothy Day, la figure tutélaire du lieu. Journaliste et militante catholique américaine, elle n’a cessé de mêler ses prières à l’action pour la justice sociale, manifestant contre les guerres mondiales ou pour le droit de vote des femmes. Elle créa notamment des maisons d’hospitalité dans les quartiers pauvres des grandes villes américaines. « Nous n’avons pas le droit de nous arrêter et de nous sentir désespérés. Il y a trop à faire », écrivait-elle. Le positionnement politique du café s’en inspire, se situant depuis le départ « à la gauche du Christ ». Un « anarchisme chrétien » revendiqué, attaché à la doctrine sociale de l’Église et à une sobriété heureuse pensée comme base d’une écologie dans la lignée de l’encyclique Laudato si’.

Armelle, bénévole en service civique depuis trois mois et jusqu’à fin juillet me fait visiter les450 m² de ce lieu qui comporte, outre le café, plusieurs ateliers. « Dix-neuf artistes résidents travaillent ici, céramistes, stylistes, peintres ou restaurateurs d’art », m’explique-t-elle. C’est Marie, professeure de lycée, qui s’occupe de la relation avec ces résidents : « Ils sont là avant tout pour travailler et désirent être au calme, sans forcément se mélanger avec les usagers du bar, même s’ils doivent accepter cette cohabitation lorsqu’ils viennent s’installer ici. » Leur location permet au Dorothy de s’acquitter d’une part du loyer dû à la paroisse (4 500 € par mois avec les charges).

Le lundi après-midi, le café est réservé aux cours de français et à l’aide administrative proposée par l’association Altermonde (obtention de la CMU, d’un passe Navigo, etc.). Sur la table de l’entrée, la bénévole de l’association explique avec douceur à Sekou (1), arrivé récemment en France, comment remplir son dossier administratif. Mutique, on le sent perdu. Pas grave, ici on prend le temps, même si l’heure de fermeture du café est largement dépassée.

 

Mardi 13 juin

La fraîcheur qui règne à l’intérieur du Dorothy bénéficie à une quinzaine de clients, bercés par une douce musique soul. Un excellent café péruvien est offert, bio comme toutes les denrées consommées ici. Pilier du Dorothy, Damien tient le bar plusieurs fois par semaine. Il a travaillé dans la restauration avant de s’occuper d’un syndic immobilier, en télétravail et surtout le soir, ce qui lui laisse la possibilité de venir ici durant ses après-midi. À 33 ans, il se considère déjà comme l’ancienne génération. « Les nouveaux bénévoles ont plutôt 20-25 ans. » Ils sont une trentaine dont une quinzaine qui vient tenir le bar, en y consacrant en moyenne une heure et demie, jeunes et plutôt éduqués.

17 heures. Le café ferme, deux heures de pause avant la seconde partie de journée. Au programme ce soir : atelier d’électricité et conférence historico-politique. Changement d’ambiance et de public par rapport à l’accueil de jour. « Aux ateliers, ce sont plutôt les bobos du quartier, me prévient Damien. Les conférences, elles, regroupent un public étudiant et intellectuel. Mais un dimanche par mois, nous avons un grand repas convivial, où les publics se mêlent davantage. »

Pascal est l’unique salarié du Dorothy. Professionnel du bâtiment, on lui doit une grande part de la rénovation de cet espace. Il anime les ateliers manuels deux fois par semaine, de la plomberie à l’électricité en passant par la menuiserie. « La pédagogie de la main est essentielle, m’explique-t-il. Cela redonne aux gens de l’autonomie, leur fait redécouvrir la matière, les différents types de bois, de fils, le toucher. Mettre en avant les savoir-faire manuels, à côté de l’aide sociale et du savoir intellectuel, englobés par la démarche spirituelle, permet de considérer la personne dans toutes ses dimensions et rend le projet du café très cohérent. Un tel lieu dans Paris, c’est rare », se félicite-t-il. Avec une petite dizaine d’habitants du quartier, j’apprends donc ce jour-là le b.a.-ba de l’électricité. Puis nous passons aux travaux pratiques : brancher notre premier circuit de prise. Ceux qui le veulent peuvent venir poursuivre ici un projet plus complet, en électricité ou en menuiserie.

Je sors de la pièce heureux mais lessivé. À peine le temps d’assister à la seconde partie de la conférence sur les liens entre marxisme et christianisme. Le philosophe franco-brésilien Michael Löwy y retrace les tentatives de dialogue menées depuis dix ans à l’initiative du pape François entre les deux pensées. Les questions d’étudiants en histoire et en sciences politiques se mêlent à celles d’auditeurs plus âgés qui livrent souvenirs et expériences avec force détails. La barre est haute.

 

Mercredi 14 juin

Claire, en attente d’un heureux événement tout proche, passe un moment tranquille avec son mari qui, comme elle, est musicien. Elle est venue habiter dans le quartier il y a plus de sept ans, pour diriger la chorale de la paroisse. Elle vient au Dorothy depuis le début. « Je m’éloignais un peu de l’Église et de son cléricalisme. Ici, rien d’ostentatoire, nous sommes chrétiens mais ce n’est imposé à personne, l’idée c’est avant tout de faire des choses ensemble. Il y a plusieurs communautés, les Africains, les Antillais, et certaines personnes entrent avec des histoires très lourdes. J’ai proposé l’idée des bals folk : chanter, danser ensemble, ça permet de nous relier joyeusement et c’est moins intimidant que d’assister à une conférence. » L’art pour elle est source d’engagement. « On a envie de changer la société, de revenir à la politique, de cesser cette tendance contemporaine à se désengager parce que les périls apparaissent trop grands. Ce qui est trop grand et nous dépasse, c’est aussi Dieu. Ici, je me sens faire Église. »

Un dialogue sur la prière et la croyance s’engage entre Augustin, 27 ans, trésorier de l’association, et un visiteur. C’est la première fois que j’entends cette thématique abordée de vive voix. La dimension spirituelle du lieu n’est pas si prégnante, hors de conférences spécifiques et des quelques citations disséminées un peu partout tel le « Aime et fais ce que tu veux » de saint Augustin et « Dieu comme seul maître » écrit au correcteur blanc sur une chaise rouge vif. « Tous les lundis, on fait une prière ensemble, avec les membres qui le veulent, m’apprend Claire. C’est une prière simple, qui nous porte, où l’on parle toujours du quartier. Ça ne se passe pas ici mais chez l’un ou chez l’autre, c’est bien de séparer les choses. » Certains autres membres aimeraient cependant une plus grande visibilité du projet chrétien à l’origine du café, comme Marie qui proposerait bien d’instaurer par exemple un bénédicité comme lors des accueillants banquets de la Fraternité Bernadette.

Alix vient au café pour la première fois. Cheftaine scoute, ce sont des amis qui lui ont parlé du lieu. Ce soir, elle est là pour le bal. Pas particulièrement politisée, elle ira aux JMJ cet été, mais se sent mal à l’aise avec la montée du courant traditionaliste. « Ce repli identitaire dont on entend beaucoup parler m’attriste, parce que ce n’est pas ce que je vis avec mes autres amis chrétiens. Je suis curieuse de voir l’ambiance à Lisbonne cet été. J’ose espérer que l’ouverture et la fraternité seront au rendez-vous. »

19 heures. Le dernier bal folk de l’année va débuter avec l’équipe presque au complet. Chaque mercredi, c’est le seul événement payant du Dorothy, à 6 € l’entrée. Une centaine de participants, plutôt jeunes, investit les lieux. « Le public n’est pas du tout le même qu’en semaine, constate Augustin. Le bal commence à avoir sa réputation et les gens viennent parfois de loin pour y assister. Ce soir, à vue d’œil, plus de la moitié des participants sont de nouveaux venus. »

 

Jeudi 15 juin

Je m’installe dans le jardin avec Thérèse du Sartel, 31 ans, professeure de philosophie dans un lycée de Neuilly, encore présidente du bureau quelques semaines avant de passer la main. C’est l’une des grandes fiertés de l’équipe, fidèle aux principes de l’autogestion : ne pas accaparer le pouvoir. « On se méfie aussi du biais des fondateurs de communauté qui ne veulent jamais lâcher. Je viens d’un milieu charismatique, une famille très aimante, poursuit-elle. J’avais pris mes distances avec l’Église, mais pas avec ma foi. Au Dorothy, on est tous croyants, mais pas forcément pratiquants. Politiquement, il nous arrive d’être très différents, sur les questions de transsexualité ou de GPA par exemple. Certains ont une opinion très tranchée, dans un sens ou dans l’autre, d’autres sont un peu perdus et attendent de rencontrer, de comprendre. Nous voulons pouvoir évoluer sur toutes ces questions, sans avoir à subir une étiquette. Ce qui nous fait tenir et grandir tous ensemble, et qui nous empêche de nous déchirer comme dans un parti politique, c’est que nous avons ce lieu à gérer et qu’il passe avant tout. Et puis, cette ouverture au débat, à l’écoute, c’est peut-être ce qui fait de nous des chrétiens. »

Cet après-midi l’association Le Carillon accueille les sans-papiers dans la grande salle. Ce réseau de solidarité local organise entre autres des distributions avec les commerçants du quartier. Le temps de permanence est consacré à inventer des maquettes de mobilier urbain non excluant, notamment avec et pour les personnes précaires. « On essaye d’inventer des bancs publics différents, en réalisant des petits modèles en carton qui seront présentés aux élèves de l’école primaire des Amandiers, dans le quartier, occasion de discussion, nous explique Colin Troalen, l’un des animateurs. C’est une autre manière de faire se rencontrer les gens, on est vraiment dans cette “recréation” de lien social ; plus que dans le caritatif. »

20 heures. Ce soir, c’est une réunion à huis clos de la Fraternité politique, la « Frat Po ». Une quinzaine de participants de moins de 40 ans se rassemblent depuis trois ans et lors de week-ends. Ils viennent de Sciences Po ou d’écoles de commerce, sont journalistes, travaillent à l’Assemblée nationale ou dans des ONG. Des lieux de pouvoir et d’influence où l’action est possible. Le but de cette fraternité ? Former au politique, en y incluant la dimension chrétienne. Chrétiens et de gauche, ils se savent minoritaires au sein de la jeunesse catholique actuelle. « Beaucoup ici viennent de familles plutôt classiques et traditionnellement marquées à droite, mais ont été déplacés politiquement face aux immenses enjeux écologiques et de justice sociale actuels, m’explique Pierre-Louis Choquet, chercheur en sociologie et très investi dans l’aventure. La Frat Po est un peu un vivier pour la suite, c’est d’ici que viennent beaucoup de bénévoles. » Après un dîner sur le pouce, Thérèse ouvre la soirée avec un « topo » d’une vingtaine de minutes creusant le thème de l’année : les rapports historiques entre christianisme et prolétariat. Nous nous retrouvons ensuite en petit groupe pour réfléchir sur les moyens d’agir politiquement en chrétien. Nous parlons du temps qui manque dans nos vies suractives pour faire une place au sacré. L’écoute est de mise.

 

Vendredi 16 juin

Summertime par Janis Joplin est la bande originale idéale pour un après-midi. Peu de clients. Cédric, bénévole de 44 ans, free-lance conseil en entreprise, vient de loin. « Ma paroisse est à Vanves, mais il n’y a pas de lieu comme ça. J’ai découvert le Dorothy en écoutant un podcast. Je viens tous les vendredis. Les gens t’attendent, c’est un engagement plaisant. » Il me propose de jouer une partie de Jungle Speed avec deux habitués, Kaba et Obaïda, étrangers vivant dans le quartier. Il prend des nouvelles de ce dernier, malade et aujourd’hui très fatigué et le félicite pour ses progrès en français. Même avec peu de paroles échangées, les sourires apparaissent et le contact se noue.

Au bar, c’est le premier jour d’Adélaïde, nouvelle bénévole et professeure d’histoire-géo. Elle pense venir donner un coup de main dans les prochains jours. Un client un peu pesant donne l’occasion à Armelle de lui expliquer les règles et de transmettre quelques conseils pour ne pas se faire importuner. « Bien sûr que les altercations existent, reconnaît Damien. Les incidents sont quand même rares, un ou deux par an. On essaye de poser les choses, mais ce n’est jamais évident. Souvent, ceux qui viennent ici sont déjà exclus de partout. Alors si nous aussi on se met à les rejeter… » Je sors de cette semaine au Dorothy profondément apaisé, avec la certitude d’y revenir. Certes l’idéal poursuivi par un tel lieu n’a rien d’évident et la mixité des publics n’est jamais gagnée. Mais son existence même donne envie de se ressourcer et d’agir. Ne serait-ce, déjà, qu’en abordant son voisin autour d’un bon café. Bien corsé.

(1) Le prénom a été changé.

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Encadré : Dorothy Day, chrétienne rebelle

Journaliste américaine venue de l’anarchisme, Dorothy Day (1897-1980) se convertit au catholicisme en 1927 et fonde, en 1933, le Catholic Worker Movement (« Mouvement catholique ouvrier ») et le journal Catholic Worker en compagnie de Pierre Maurin, frère des Écoles chrétiennes et membre du Sillon. Aux États-Unis, fidèle à la doctrine sociale de l’Église, elle ne cesse de militer et de manifester pour la justice sociale, selon les principes de la non-violence. Elle développe à New York des « maisons de l’hospitalité » pour accueillir les exclus de la société. Sa cause de béatification a été ouverte en 2000 par Jean-Paul II.

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Entretien avec Yann Raison du Cleuziou  : « Une polarisation est à l’œuvre dans la jeunesse catholique »

Yann Raison du Cleuziou, sociologue du catholicisme et politiste, chercheur à l’Institut de recherche Montesquieu de l’université de Bordeaux, analyse le succès des tiers lieux chez les jeunes catholiques.

Pourquoi les tiers lieux chrétiens et citoyens séduisent-ils les jeunes chrétiens ?

La création de ces lieux répond à un besoin de solidarité générationnelle. Les jeunes catholiques sont doublement minoritaires : dans l’Église, qui est une structure très âgée dans sa constitution, et dans la société, en tant que catholiques. Ils ont besoin d’un lieu à eux où ils puissent discuter et vivre leur expérience en échappant au regard des plus anciens, marqués par une expérience catholique majoritaire, qui ont du mal à les comprendre. Ils ont aussi besoin de ces lieux pour vivre leur vie étudiante ou de jeunes actifs dans un contexte séculier où, dans leurs générations, c’est le groupe des « sans religion » qui est très largement majoritaire. Chez les 18‑29 ans, il y a 39 % de sans religion et 28 % d’athées convaincus.

Pourquoi des cafés ?

Ces jeunes assument cette posture devenue minoritaire, en s’inspirant de lieux contre-culturels de gauche comme Magasin général, le bar de Julien Coupat à Tarnac (Corrèze). Cela permet de limiter l’effet « ghetto » d’entre-soi et recrée une surface de contact avec la société et ceux qui n’ont pas forcément les mêmes convictions. Cela marque la nécessité de se positionner eux-mêmes comme une contre-culture. Un style alternatif qui répond à la fois à l’institution ecclésiale, avec ses paroisses, ses mouvements dominés par des seniors ou des prêtres, et à l’égard de la société. Il y a aussi un besoin générationnel d’autogestion, de rapport moins hiérarchique au pouvoir.

Pourquoi cette mise en avant de figures comme Simone Weil ou Dorothy Day ?

Ces figures engagées sont toutes des catholiques convaincues, mais connues pour leurs engagements dans la critique du libéralisme, du rapport au travail, etc.Le positionnement catholique est relativement crypté. Ce n’est pas le café Marie de Magdala, comme dans les communautés charismatiques, avec des noms à chaque fois très marqués. Ce sont systématiquement pour moi des signaux ambigus et qui échappent au clivage gauche-droite classique. Par exemple, Simone Weil a une réception à gauche comme à droite, avec son ouvrage L’Enracinement (1).

Comment définir leur positionnement politique ?

Il y a des effets de génération très différents. Le Simone naît dans le contexte de La Manif pour tous de 2013, qui a réussi à déplacer l’identité de ses membres et se positionne avec une rhétorique empruntée à la gauche, avec des vraies avancées sur la lutte contre l’homophobie au sein de l’Église, avant qu’il ne se radicalise vers la droite. Cette mobilisation a été un moment important pour beaucoup de jeunes catholiques qui ont voulu poursuivre et élargir leur engagement par une critique de la logique libérale qui finit par régir l’intime et le rapport au corps.

Cette refondation, à partir de 2015, a pu se faire à partir de l’idée d’écologie intégrale, avec un positionnement ni à gauche, ni à droite. C’est aussi le cas de l’équipe de la revue Limite, mêlant des tendances très diverses au départ. C’est un catholicisme de droite, mais en attente de renouvellement idéologique dans sa critique du libéralisme, du côté des gauches.

Est-ce toujours le cas ? Par exemple, Le Dorothy se positionne clairement à gauche.

Depuis le Covid, depuis le succès d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle chez les jeunes catholiques, et le débat migratoire, la polarisation s’est accentuée, avec un dialogue devenu beaucoup plus difficile. Le Dorothy cherche à maintenir un lieu où les jeunes catholiques de gauche, existants même si minoritaires, puissent se retrouver et maintenir leur rapport à l’Église en assumant leur position sociale et une bienveillance, voire un engagement sur les questions de genre, la conjugalité homosexuelle… C’est devenu un réseau refuge pour la minorité dans la minorité que sont les jeunes catholiques de gauche, qui sont souvent dans l’Église face à des jeunes prêtres plutôt conservateurs, et qui au sein des gauches tombent dans un univers très séculier où l’on ne reconnaît pas leur particularisme. Cette démarche militante de renouvellement du catholicisme par la gauche atteint selon moi très vite ses limites, parce que les jeunes catholiques sont très massivement de droite et ont déjà des lieux qu’ils pensent comme contre-culturel : les Scouts d’Europe, les camps d’inspiration traditionaliste comme le pèlerinage de Chartres. Ou les JMJ qui, lorsqu’elles ont lieu à l’étranger comme cette année, concernent plutôt des familles déjà bien introduites dans le maillage de l’institution pour s’organiser et qui sont prêtes à dépenser un budget pour l’éducation religieuse.

(1) L’Enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, coll. « Folio essais », Gallimard, 1990, 348 p., 9,90 €.

 

Pour en savoir plus :

 Livre : Dorothy Day. Une rebelle au paradis

Une biographie enlevée et passionnée pour découvrir la figure et le parcours de l’inspiratrice du Dorothy Café. À la fin de chaque chapitre, des prières originales et plusieurs propositions d’actions concrètes pour s’engager dans l’action sociale et se mettre dans les pas de la fondatrice du Catholic Worker Movement.

De Mathilde Montovert, Éd. Première partie, 222 p., 16 €

Lieux : Quatre cafés chrétiens :

 – Le Sénevé café-coworking, à Grenoble (Isère)
Ce lieu, appartenant à la paroisse Saint-Joseph, une église animée par « Isèreanybody ? » (isereanybody.fr), le réseau des jeunes adultes catholiques du diocèse de Grenoble-Vienne, est ouvert de 9 heures à 20 heures en semaine. Il propose, en plus du café et d’une chapelle, des espaces de travail pour étudiants (« coworking »), chercheurs d’emploi et jeunes professionnels à partir de 1,50 € les deux heures. lesenevecafecowork.fr

 

 – Chez Théo, à Montpellier (Hérault)
D’origine protestante, Chez Théo propose, entre deux cafés, des conversations en langues étrangères (anglais ou espagnol), des ateliers Bible le lundi, ainsi que des « cafés Church », soirées autour de la spiritualité et des événements sur la santé ou l’écologie avec la Fresque du climat. chez-theo.org

 – Café La Fontaine, au Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine)
Chant, ciné-club, débat philo ou mime, ce café associatif, pionnier du genre en France, ouvert depuis 1986, propose de nombreuses activités autour de ses consommations sans alcool. Très ouvert, sans affirmation trop frontale de son origine chrétienne, le Café se veut aussi un lieu où débattre de spiritualité et d’Évangile. asso-cafelafontaine.fr

 

 – Café L’Ambassade, à Valence (Drôme)
Affichant « fraternité et convivialité » comme valeurs cardinales, L’Ambassade propose un lieu de 160 m2 avec pour premier objectif de briser la précarité et la solitude qui touche les grandes villes. Jeux de société, lecture de textes choisis, tricot et crochet… De nombreuses activités sont proposées sans obligation de consommer. Le vendredi, un atelier « Découverte de la Bible » ouvre sur le christianisme.