UPPLR #178 : Hier la mer…, par Jean Fanchette

à Issa Asgarally

Calme. Au loin la mer dénouée
Balance le ciel des exils.
L’écume aux brisants s’est vouée.
J’ai renié l’âme des îles.

Roi, j’ai perdu mes caravelles,
Trahi l’enfance aux cheveux verts.
Je remonte avec les civelles
Les courants certains de la mer.

Roi, j’ai vendu mon héritage
Doux-amer pour d’autres royaumes
Et de mon seul destin l’otage
J’étreins le vide de mes paumes.

Calme. Au loin la mer dénouée
Balance le ciel des exils.
L’écume aux brisants s’est vouée.
Quels soleils roux brûlent mes cils ?

Jean Fanchette

L’Île Équinoxe, préface de J.M.G Le Clézio,
postface de Michel Deguy, Philippe Rey, 224 p., 9,90 €

Né à l’île Maurice en 1932, Jean Fanchette, poète, romancier mais aussi neuropsychiatre et psychanalyste, a composé durant sa vie une œuvre suspendue. Avant sa mort en 1992, il avait conçu cet ensemble de recueils regroupés. Ses poèmes sont celui d’un homme toujours en exil, qui cultive la concision du verbe pour rester léger, afin de ne pas en rester aux frontières. « Je ne suis pas d’ici, je ne suis pas d’ailleurs », écrivait-il. Soucieux des injustices et des guerres qui ensanglantaient le continent africain, il se cherchait des alliés en partant à la rencontre de la poésie des autres. Two Cities, la revue bilingue de littérature qu’il anima, rendit accessible les textes d’Anaïs Nin, William Burroughs ou Henry Miller en France. Une poésie « authentique dans chacune de ses paroles, dans la richesse de son rythme, dans la valeur de ses mots », comme
le souligne J.M.G. Le Clézio dans sa préface, afin de comprendre « qu’il n’y a pas d’exil / Que l’exil est la dislocation entre le temps qui n’est plus temps et le lieu qui n’est plus lieu ».

Stéphane Bataillon
(initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°178)