UPPLR #59 : Relié, par Charles Juliet

toi qui n’as ni formes ni visage
mais qui es cette femme avec laquelle
je suis en incessant dialogue
cette nuit tu étais là

violent était mon besoin
de te porter en moi
de me glisser en toi
me mêler à ton secret
m’enrichir de ta substance
et des mots gonflés de notre fusion
se sont mis à bruire
ont fini par enfanter ce chant
où j’avais désir de te garder

accepte que ma voix sourde
le dépose en ta mémoire
et qu’il te donne à ressentir
la vénération que je te voue

Charles Juliet

Pour plus de lumière. Anthologie personnelle 1990-2012, Poésie/Gallimard, 448 p., 11,50 €

Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :

 

Placé à 3 mois dans une famille de paysans suisses, apprenant à 8 ans le décès d’une mère qu’il n’aura pas connue, Charles Juliet a transformé cette absence en une œuvre abondante, remplie de paroles pour combler le manque. Tenter de la comprendre, creusant ses propres ténèbres pour y trouver un peu de lumière. Dans son célèbre journal, dont le dixième tome, Le Jour baisse, sort simultanément aux éditions P.O.L (lire La Croix du 19 novembre) ou dans cette anthologie personnelle de poèmes couvrant vingt-deux années de publications, il réduit cette expression au plus dense, au plus direct. Un moyen d’opérer, comme le dit Jean-Pierre Siméon dans sa riche et passionnante préface, la transcendance intérieure, qui ne se fond pas dans le « tout-Dieu », comme chez les nombreux mystiques que l’écrivain affectionne, mais qui « revient à lui ». Telle une renaissance qui ferait le pari d’une vie consolée.

Stéphane Bataillon (@sbataillon)

(Article paru dans La Croix L’Hebdo du 28 novembre 2020)

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