Claro, Velter, Raboud : les notules poésie de janvier 2023

(Notules poésie parues initialement dans le cahier Livres & idées de La Croix du 12/01/2023)

Animal errant, retour d’abattoir
de Claro
Flammarion, 160 p., 17 €

Après s’être imposé dans la vie littéraire avec une trentaine de romans et une œuvre de traducteur réputé, tenter autre chose. Pour dire différemment l’urgence du moment. La langue s’agite, les bribes s’entrechoquent en rythme, et la poésie se présente, pour la première fois chez Claro, comme le moyen de transmettre une « langue aux abois ». Une parole noircissant les souvenirs pour tenter de nuancer les ténèbres d’un monde que l’on n’espérait pas. « Aucun hercule ici/pour arracher l’étau/à la gorge des mots. » Alors, risquer l’accumulation, une mise sous pression d’images et de formes très diverses dont seul le dire poétique peut sans doute concilier les désirs. « Je cherche une légende/remisée chaque soir/dans la cuve de l’être. »

Terres déclives
de Thierry Raboud
Éditions Empreintes, 68 p., 12,60 €

En février 2021, dans le Musée Jenisch de Vevey vidé de ses visiteurs à cause de Covid, Thierry Raboud, journaliste et poète suisse, s’installe avec une machine à écrire et compose, sur un rouleau de plusieurs mètres, un long poème ininterrompu. « Immobile pèlerin des édens révolus », il rêve de randonnées impossibles où ses pas graveraient « les gradients du bonheur/qui devaient être le nôtre » et y inscrit cette terre, au-dehors, où, désormais « tout penche ». Dans cette réflexion silencieuse et solitaire, loin du découragement, il trouve l’essentiel : « Quelque chose ici s’ébroue/l’homme console l’homme/de son insignifiance/en inventant la foi/en l’homme/et la collection permanente/de ses élévations. »

Trafiquer dans l’infini
d’André Velter
Gallimard, 136 p., 15 €

Ce sont des textes et des poèmes pour « trouver son lieu au bout du compte autant qu’au bout du monde » dans une société de haines et de vindictes, loin des rivages rêvés et autrefois rejoins avec mille certitudes. Dans ce nouveau livre, le nomadisme d’André Velter fait halte au cœur du poème, lieu de parole toujours en mouvement malgré les empêchements de nos vies. « Gagner le corps des galaxies,/la joie stellaire du sans repos,/la joie sans fin de l’éphémère,/et s’abolir dans un sourire. » Un chant lucide qui inclut aussi la possibilité d’un retrait nécessaire laissant place à Omar Khayyam, Maurice Scève ou Éluard. Des compagnons pour mener, sans se soucier du temps, ce trafic d’infini.

Stéphane Bataillon