Critique BD : Acting class, par Nick Drnaso

Acting Class
de Nick Drnaso
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Renaud Cerqueux
Presque Lune, 276 p., 22 €

Ils sont dix. Dix Américains, citadins anonymes, à se retrouver pour participer à un cours de théâtre. Trois séances d’essai gratuites, menées par un mystérieux John Smith. Trois occasions de briser leur solitude, de laisser s’exprimer leur timidité, de se rendre compte, par le jeu, de leurs légers décalages. Premiers sourires et premières satisfactions, suivant les consignes fermes et bienveillantes de John. Mais bien vite, le réel se mêle à l’imagination, les décors projetés pour jouer les scènes dans ce grand gymnase qui fait office de salle de répétition persistent au-delà des heures du cours, les perceptions de chacun se brouillent, transformant leurs vies, entre rêve et cauchemars. Mais à quoi tous ces personnages et leur « professeur » jouent-ils vraiment ?

Après Beverly (Fauve révélation à Angoulême en 2018) et Sabrina (premier roman graphique à être nommé pour le prestigieux Booker Prize en 2018), l’Américain Nick Drnaso, né en 1989, poursuit avec ce troisième album une œuvre particulièrement ambitieuse. D’un trait à la fois lisible et froid, il crée une distance pour mieux dévoiler la fragilité de nos relations derrière les masques de façade.

Passant habilement des répétitions du groupe aux monologues intérieurs et aux névroses de chacun, il met en scène la déstabilisation brouillant peu à peu leur libre arbitre. Le lecteur est, lui aussi, saisi au fil des pages par un étrange sentiment de désorientation, provoqué pour mieux nous faire ressentir les mécanismes de l’embrigadement sectaire. Avec cet album, Nick Drnaso s’affirme comme l’une des signatures majeures de la nouvelle bande dessinée américaine.

Stéphane Bataillon

(Critique initialement parue dans le cahier Livres de La Croix du 25/01/2024)