Critique de Lisyane Rakotoson à propos d’Où nos ombres s’épousent

Une très belle critique de la poète Lysiane Rakotoson sur son blog le diffuseur poétique à propos d’Où nos ombres s’épousent. Merci à elle.

 

Dans les milles et une nuits, Shéhérazade conte chaque nuit une histoire, dont la suite est remise au lendemain, pour retarder le moment de sa mort. Stéphane Bataillon est loin de ces terres légendaires, mais, à la manière de la princesse, offre un poème chaque jour à celle qu’il a perdu. Un poème, non pour conjurer la mort et la perte, mais pour les traverser.
Où nos ombres s’épousent est le premier recueil de Stéphane Bataillon publié aux jeunes éditions Bruno Doucey. Il est nourri par un geste simple: l’écriture d’un poème en lieu et place d’une caresse:
« Je t’avais promis
une caresse chaque soir
désormais, ce sera un poème.  » 
 
Un recueil pour traverser le désert et faire le deuil de l’amour.  J’admire moins le procédé, qui en lui-même n’a rien d’original, que la réussite de l’entreprise. Car Stéphane Bataillon chemine véritablement tout au long du recueil et ce parcours n’a rien de factice. La progressive sortie de l’ombre n’est pas une construction poétique mais a réellement eu lieu. En témoigne la structure du recueil, encadré par deux poèmes. Dans le poème liminaire, le poète ne s’est pas encore arraché à sa souffrance et renonce à un exil:
 » […]Mais je dois me résoudre
à rattacher la barque
aux lourds anneaux du port
car ce soir il est tard
 
Trop tard pour prendre la mer. « 
Le recueil se clôt sur un départ heureux, un adieu lucide et sans tonnerre:
 » Imagine un bateau
abandonné au port
qui décide une nuit
de reprendre la mer
[…]
 
Un jour, il reviendra
et avant de s’éteindre
dans un grand feu de joie
il nous racontera. « 
 
Le recueil de S. Bataillon prend donc sa source dans une expérience intime mais évoquée avec pudeur, si bien que le « je » disparaît quasiment de la première partie pour refaire surface dans la dernière. Le « on » et les verbes à l’infinitif remplacent la force lyrique  du présent et du « je ».Les contours de l’individu disparaissent et se reconstituent une fois la traversée achevée.
L’ensemble est aussi largement métaphorique puisque Stéphane Bataillon file l’image de la poésie comme voyage. Mais cette errance n’a rien de celles des héros homériques et les obstacles qu’il rencontre n’ont pas à être surmontés mais contournés :
 
 » L’eau de cette rivière
n’essaie même pas
de submerger la roche
 
Elle sait depuis sa source
qu’il faut la contourner. « 
 
Voici la remarquable sagesse du poète qui sait qu’il lui faut accepter le réel et non entrer en résistance avec lui. C’est ce qui frappera peut-être le plus les lecteurs, qui comme moi, sont étrangers à cette sagesse de l’acquiescement. A force de creuser sa propre ombre, le poète retrouve une autre lumière :
 » Là, on reste.
On avance.
On s’engouffre.
 
Pour terrasser les cris
pour faire sortir les bêtes
pour faire sonner le chant
 
Comme une déflagration
qui érige le lieu
de nouveaux ralliements
 
Une clairière
Une simple clairière . »
Sagesse de celui qui affronte ses bêtes et ne refuse pas sa fragilité:
 » Si l’île
abandonné des vagues
devenait continent
 
Seul le frôlement du vent
apaiserait sa peine
Lui ferait accepter
sa nouvelle dimension « .
Stéphane Bataillon poursuit ainsi sa progression dans une langue simple, sans fioritures et sans pathos. Pas de cri, pas de lyrisme, mais la patience. La poésie métamorphose ainsi les énergies, et la douleur se transmue en parfum:
« Ramener cette lumière
dans le creux de ton ventre
pour que le sang se mêle
La restituer au monde
délivrant un parfum
En dédommagement. « 
(p. 87)
On peut ne pas se reconnaître dans cette souffrance apparemment sans fracas. Pour Stéphane Bataillon, la poésie semble en effet être le bon pharmakon, le remède,quand elle n’est pour d’autres qu’un creusement sans fond qui aggrave la plaie, le poison.  Pour S. Bataillon, la poésie témoigne, malgré tout, d’une persistance, d’une force:
 » […] Raviver face à vous
les forges de l’enfance
 
Cette ancienne certitude
qu’il faut se relever . » 
(p. 21)
Le poète tresse une étoffe de rien à la manière d’une Pénélope qui saurait qu’elle doit faire le deuil de ce qu’elle a perdu. Il reconstitue.
 » On rassemble les fils
éparpillés au sol
pour tresser une étoffe
 
On sent qu’elle peut tenir . »
(p. 38)

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