La Colline que nous gravissons, d’Amanda Gorman : le rêve d’une Amérique réconciliée

(Article initialement paru dans le cahier Livres&idées de La Croix du 03/07/2021)

Le poème lu lors de l’investiture de Joe Biden, devenu peut-être le plus connu de ce début de siècle, tente de recréer des ponts dans une société fracturée.

Le 20 janvier dernier, lors de l’investiture de Joe Biden, elle aura presque volé la vedette au nouveau président américain. À 22 ans, Amanda Gorman récite un poème écrit d’une traite après l’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump. En moins de 6 minutes, la jeune poétesse féministe et militante pour les droits civiques lance de sa voix puissante et assurée des mots prompts à redonner espoir à ce peuple durement fracturé, et conquiert bien au-delà le cœur de millions de téléspectateurs du monde entier.

Puis vient la polémique : aux Pays-Bas, la jeune et talentueuse Marieke Lucas Rijneveld, Booker Prize 2020, doit traduire le texte. Approuvée par Gorman, elle est pourtant violemment attaquée dans son pays. N’étant pas afro-néerlandaise, elle n’aurait pas la légitimité nécessaire pour traduire ce poème où «une fille noire et mince,/descendante d’esclave et élevée par une mère célibataire,/Peut rêver de devenir Présidente (…) ». La dispute enfle et enflamme les réseaux. Il faudrait donc être « à l’identique » pour se permettre de faire poème ensemble ?

Le fameux « Je est un autre » d’Arthur Rimbaud semble hélas bien loin. La poétesse néerlandaise préfère se retirer en publiant un poème, Tout habitable, lisible en ligne (1). En France, l’éditeur Fayard prend les devants et confie la traduction à la rappeuse belgo-congolaise de 24 ans, Marie-Pierra Kakoma, alias Lous and the Yakuza, dont le premier album, Gore, sorti en 2020, décrit d’une belle voix les souffrances et les combats à porter pour se construire à partir d’une identité métissée.
Refus de l’inertie et du découragement

Et le poème ? Dans un tourbillon exaltant un patriotisme généreux auquel nous sommes moins habitués de ce côté de l’Atlantique, Amanda Gorman cite le Livre de Michée : « Chacun pourra s’asseoir sous sa vigne et sous son figuier,/et nul ne viendra le troubler », un verset en référence à la paix et à la prospérité espérée que Georges Washington, premier président des États-Unis en 1789, utilisa à de très nombreuses reprises dans sa correspondance.

Nécessité de se battre face aux entraves de la démocratie, responsabilité individuelle et collective, refus de l’inertie et du découragement… Les mots trop galvaudés du discours politique sont ici rechargés de leur puissance première grâce au rythme de la parole poétique. Ils rappellent ce questionnement de Simone Weil dans son essai L’Enracinement : « Le problème d’une méthode pour insuffler une inspiration à un peuple est tout neuf. » La poésie, portée vers le plus grand nombre, recèle peut-être un début de réponse.

Stéphane Bataillon

(1) https://larepubliquedeslivres.com/tout-habitable/

La Colline que nous gravissons
d’Amanda Gorman
Édition bilingue, traduit de l’anglais (États-Unis) par Lous and the Yakuza
Fayard, 64 p., 8 €

Laisser un commentaire