Entretien avec Tanguy Châtel : « Les quêtes spirituelles peuvent désormais passer par l’écologie ou l’entreprise »

(Article initialmeent paru dans La Croix L’Hebdo n°202 du 6 octobre 2023)

L’auteur

Tanguy Châtel est président du Forum 104, à Paris. Il est titulaire d’un master de droit fiscal, d’un MBA (IAE de Paris) et d’un doctorat de sociologie des religions et de la laïcité (EPHE). Pendant quinze ans, il a accompagné bénévolement des personnes en soins palliatifs, ce qui l’a conduit à devenir formateur et conférencier sur ce sujet. En 2018, il cofonde le Cercle vulnérabilité et société, think tank qui étudie, avec plus de 40 organisations membres, la manière de valoriser la richesse des vulnérabilités dans le champ économique, sanitaire et social.

L’enjeu

Le Forum 104, centre culturel parisien dédié à l’étude et à l’accompagnement des spiritualités et des quêtes de sens contemporaines, fête ses 40 ans. Créé en 1984 par les pères maristes et aujourd’hui confié à la congrégation de l’Assomption (propriétaire de Bayard), il propose à cette occasion, du 6 au 8 octobre, quarante heures de rencontres, dont une nuit de méditation présentant différentes traditions.

Plus d’informations : forum104.org

Quel est le projet du Forum 104, à Paris ?

Depuis quarante ans, le Forum 104 se met à l’écoute de la manière dont nos contemporains vivent leurs quêtes intérieures. Avec ses 300 associations adhérentes, qui proposent conférences, ateliers, méditations de toutes traditions, il accueille les « chercheurs de sens », sans a priori, à partir de leurs propres convictions religieuses. Il est un laboratoire d’observation idéal des pratiques spirituelles, qui n’ont cessé de se diversifier.

Comment ont-elles évolué en France ?

Le Forum 104 s’est lancé en 1984 dans l’optique du dialogue interreligieux, en s’ouvrant notamment aux quêtes de sens importées d’Orient, pétries de bouddhisme et d’hindouisme, avec des cadres et des référents identifiés. Au fil des années 1990, ces quêtes se sont individualisées, empruntant à telle ou telle religion selon ses besoins. Cette personnalisation « à la carte », un peu anarchique, a basculé assez vite vers le développement personnel. Déjà, le besoin d’une cohérence de vie, d’une réconciliation intérieure et d’une pacification se fait sentir, résonnant avec le New Age hérité des années 1960 et la psychanalyse. On le voit dans les années 2000 avec des personnalités comme Simone Pacot et son Évangélisation des profondeurs ; la Maison de Tobie, tentant d’allier les pratiques de méditations orientales avec un respect du christianisme, ou encore les lectures de la Bible par la psychanalyste Marie Balmary.

Sont-elles toujours d’actualité ?

En partie. Mais depuis le début du XXIᵉ siècle, du 11-Septembre aux crises actuelles, la prise de conscience devient plus collective. On trouve désormais une recherche d’intériorité là où on ne s’y attendait pas, hors de la pratique traditionnelle : dans l’écologie, dans le discours sur la responsabilité sociétale des entreprises ou dans le domaine du patrimoine. On observe un retour à des expériences vivifiantes : l’expérience de la nature, la création de tiers-lieux qui permettent de rencontrer des gens très différents.

Le corps est présent dans de nombreuses pratiques : de la danse à la poterie en passant par les méditations avec postures. Cette dimension corporelle est-elle importante ?

Elle est centrale. Les gens aspirent à la retrouver. Particulièrement les chrétiens ou ceux qui ont fui le christianisme parce qu’il y a eu cette désaffection à l’égard du corps. Cela rejoint aussi le besoin de cohérence et de cohésion. La spiritualité n’est plus perçue comme une approche philosophico-théologique, il y a un fort besoin d’incarnation.

Parallèlement, on assiste depuis quelques années, et notamment chez les jeunes et sur les réseaux, à la résurgence de pratiques comme l’astrologie, le tarot, avec des résonances païennes. Comment analyser la nouvelle vitalité de ces pratiques ?

Les crises suscitent cet engouement. Des gens au profil très rationnel ont besoin d’injecter dans leur vie une part d’irrationalité, donc de croyance, qu’elle soit de nature complotiste ou spirituelle. C’est quelque chose qui est assez constant dans la sociologie des religions : à chaque fois qu’il y a des crises, il y a des réflexes pour expliquer par le surnaturel ce qui nous arrive. Cela permet de se soulager mentalement d’un monde qui est trop abrupt quand il n’est que rationnel, où nous sommes confrontés à notre seule responsabilité.

Comment expliquer le besoin de sacralité que l’on sent monter chez nos contemporains ?

L’encyclique Laudato si’ du pape François a ouvert les yeux sur le fait que l’on pouvait articuler la spiritualité avec le rapport à la nature. Plus que de l’écologie, c’est de l’éco-spiritualité, avec une recherche de globalité, de cohérence. C’est un trait marquant des quinze dernières années : le désir d’abolir les clivages, comme celui entre la vie professionnelle et la vie privée. Une tendance à l’œuvre dès avant le télétravail. Le clivage entre la vie physique et la vie spirituelle prend le même chemin. Cela témoigne d’un besoin d’accomplissement qui veut faire fi des étiquettes. Grand patron ou SDF, on tend à regarder d’abord la personne qui est devant nous.

Quelle est la place du christianisme dans cette recomposition ?

À l’heure où les gens pourraient être perdus, il est important de rappeler dans quel rocher l’on s’enracine. Le Forum 104 réaffirme aujourd’hui sa dimension de lieu chrétien, en écoute plus qu’en profession. Cette position peut, nous semble-t-il, réconcilier un certain nombre de gens avec l’Église. Nous ne voulons surtout pas devenir un lieu où des gens viendraient pour endurcir leur foi chrétienne, un lieu de nouveaux dogmes.

Y a-t-il des précautions à prendre dans ces domaines ?

Nous sommes face à des publics qui sont des « chercheurs », donc par hypothèse influençables. Il y a un supermarché du spirituel qui peut devenir une forme d’abus de faiblesse lorsque certaines personnes se retrouvent accablées par la maladie, un divorce, la faillite, la perte d’un proche. Elles sont tellement en demande d’un peu de répit qu’elles peuvent devenir davantage crédules. Nous avons pour point de vigilance la question suivante : est-ce que ça peut porter préjudice à des personnes ou à leurs proches ? Est-ce des approches qui rapprochent ou qui éloignent ?

Comment trouver sa voie dans toutes ces propositions ?

Venir voir, pour comprendre la variété des quêtes et se rendre compte qu’il y a d’innombrables chemins possibles. Quelqu’un qui se rend au Forum 104 n’est pas un consommateur de spiritualité mais vient apporter son témoignage. Parler pour dire ce que l’on cherche, ce dont éventuellement on souffre, quelles sont nos aspirations. Et puis écouter ceux qui ont trouvé leur voie et qui peuvent inspirer. Chacun est amené à construire son chemin, qui est toujours plus important que le but !

Recueilli par Stéphane Bataillon