UPPLR #167 : Je pense à l’heure, par Robert Desnos

10/04/1936

Je pense à l’heure
Où un homme a dit pour la première fois :
Il est telle heure
Crépuscule aube ou midi
Peut-être minuit
Les étoiles et le soleil également solitaires
Dans la foule des astres
Repassent au même point
En nuage du moins
Et les hommes passent aussi à ce point
Du jour et de la nuit
Les hommes pensent à leur mort
Les étoiles et le soleil n’y pensent pas
J’aimerais mieux en cette circonstance
Être étoile ou soleil
Qu’être homme
Mais il faut être homme
Pour penser à la vie
Le soleil et les étoiles n’y pensent pas
Les astres ne vivent pas

Robert Desnos

Poèmes de minuit. Inédits 1936-1940, Éd. Seghers, 192 p., 15 €.

Ce sont quatre cahiers réapparus lors d’une vente aux enchères
à l’automne 2020. Quatre cahiers renfermant 120 poèmes dont 86 inédits de la main de Robert Desnos. Écrits pour la plupart durant l’année 1936, ils sont le résultat d’un exercice original que le poète s’est imposé, lui donnant le nom de
« poèmes forcés » : écrire, chaque soir, un poème avant de s’endormir. « Avec ou sans sujet, fatigué ou non,­­ écrira-t-il. (…) Certains soirs, le poème s’imposait, il s’était construit de lui-même au cours de la journée. D’autres fois, le cerveau vide, c’était un thème inattendu qui guidait la main plutôt que la pensée. Mais il ne s’agissait pas d’écriture automatique. »
On retrouve, dans cette moisson exceptionnelle de textes inconnus, le bestiaire qu’il animera dans ses fameuses
Chantefables, des jeux de mots et de sons, les clairières et les rues et d’étranges protagonistes, comme le duc de Mouche ou Monsieur Ducanard. Une poésie libérant, au creux de la nuit, son fantastique imaginaire, capable de résister à toutes les ombres qui rôdent pour nous désenchanter.

Stéphane Bataillon

(Initialement paru dans La Croix l’hebdo #167)