Comme chaque année pendant la pause des fêtes de fin d’année, une petite rétrospective des 12 mois écoulés avec, pour chacun d’eux, un poème où une prose de saison. Histoire de savourer ensemble ces derniers jours de 2017. Belles et bonnes fêtes à toutes et tous !
JANVIER
« Du temps où les bêtes parlaient… » « Il y a de cela cent mille ans ou plus… ». Le conte nous transporte dans un monde d’avant le monde. Un monde d’anciens symboles et d’archétypes polis, lentement apprivoisés pour amorcer le temps de nos prochains désirs. Le conte parle d’un monde de l’éternel instant, chargé d’une énergie qui déborde la geste et brouille l’aventure afin qu’elle nous submerge et que nous la domptions. Dès la première ligne, dès le premier mot, il nous transporte à notre cœur.Portant l’étrange haillon d’une forme trop populaire, le conte nous rend libre. Libre d’être pleinement nous-même. Il nous laisse seul. Rassuré. Capable sans autre effort, et sans retour de grâce, de rejoindre notre rêve.
FÉVRIER
Résister à la force
en changeant la fréquence
Proposer un écho
à toutes tes certitudes
T’offrir une liberté.
MARS
Face au fracas du monde
savourer la rosée
retenue par les mousses.
AVRIL
Suppression des emails. Désactivation des notifications. Désinstallation des applications. C’est un langage précis, presque mathématique. Il ne faut pas que la main tremble. Opération irréversible. Le temps presse. Effacer les traces. Défragmentation. De soi. Se condenser, expirer les anciens fichiers. Se nettoyer moderne. Pour retrouver de l’air. Sentir le Printemps. Prendre le soleil. Même si encore une fois, les fleurs du cerisier se sont déjà fanées
MAI
JE VEUX LE POUVOIR
JE VEUX LE POUVOIR grandir mon enfant
JE VEUX LE POUVOIR m’asseoir en silence
JE VEUX LE POUVOIR s’épanouir le camélia
JE VEUX LE POUVOIR l’escargot faire l’acrobate
JE VEUX LE POUVOIR ne rien faire
JE VEUX LE POUVOIR méditer
JE VEUX LE POUVOIR profiter d’être avec toi
JE VEUX LE POUVOIR d’autres horizons
JE VEUX LE POUVOIR écouter les autres
JE VEUX LE POUVOIR prendre le temps de répondre
JE VEUX LE POUVOIR ton sourire
JE VEUX LE POUVOIR refuser.
JUIN
C’est long une vie. on nous dit qu’il faut réussir vite. mais ça passe vite, le moment. de la réussite. qui nous excite. avant. après. la vie, c’est long. dans un bureau de plus en plus / de moins en moins /grand / haut /ouvert. on échange, on s’échange. nos rires / nos plats / nos rendez-vous / nos points de désaccords / nos points non-négociables pour que l’accord / nos cercles / nos jetons / de présence / d’une absence / cette prétention. à être ensemble / venus les honorer de notre présence / seul. Mais on a fait. houlà comme on a fait ! on a agi. dans /notre / intérêt / du groupe / du collectif / de l’actionnaire / de la cause. toujours. corporate. toujours. alerte. bad buzz. ça sent le chaud. là. il faut débarquer / du monde. te débarquer. et oui, tu comprends, désolé. c’est déjà pas donné. une si belle aventure. à conquérir le monde. faire sa part / sa petite part / de marché. allez, allez quoi, tope-là. topé. pas besoin de signer. tu l’as. ta promotion. Tu l’as bien méritée.
JUILLET
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AOÛT
Je n’arrive pas à m’endormir. Rien à faire, j’ai beau faire le vide, respirer par le ventre, penser à des choses agréables, me projeter dans une situation improbable qui pourrait initier un rêve, je n’arrive pas. J’ai beau prendre un livre, une bd, ma tablette, j’ai beau commençer à écrire ce texte, je n’arrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrrg’,.
SEPTEMBRE
Transport en commun. Habitude triste. Mais je viens de lire un passage. Un passage sur le soi, sur sa prise de conscience. Sur ce qui est là depuis l’enfance mais attend l’heure du murmure. Je descends de la rame. Quelques notes me saisissent, ce n’est pas comme hier. Une lente mélodie qui fait danser la brume, le matin, sur le grand jardin. Je m’approche pour regarder la pochette du CD vendu par le musicien, joueur de hautbois aidé d’une boite à rythme. Je vois Schubert. Ça doit être ça. Je presse le pas pour prendre l’escalator. Arrive en haut du couloir de correspondance. Reste interdit. La musique me transperce. Je sens l’énergie circuler en moi, ces petits picotements qui remontent des jambes. Je fais demi-tour. Hésite encore un peu. Je suis presque en retard. Dévale les escaliers et retourne le voir. Il finit juste le morceau. – Bonjour, quelle est cette musique ? – L’Ave Maria de Giulio Caccini. Il n’est pas très connu. Mais quand je le jouait, en Ukraine, les gens sortaient les larmes aux yeux.Il s’appelle Oleg Yugan. Je le remercie. Il sourit en reprenant son hautbois. Je repars. Changé.
OCTOBRE
Non, aucun de mes amis n’attend de mes nouvelles. Je ne manquerai à personne en vous quittant. Qu’est-ce qui me retient ? Mes contacts ? Mes followers ? Non, personne ne s’en apercevra. Ça fera un bruit de moins, un écho économisé, un buzz évité. Ça fera un peu de calme. De ce calme dont j’ai bien besoin. Alors voilà, c’est décidé, j’appuie sur « Supprimer mon compte ». Ma décision est irrévocable et… comment ? Vos serveurs s’ennuient ? Ça me touche. Ça change tout. Vous savez parler aux hommes, vous.
NOVEMBRE
Un poème, l’idée d’un poème, c’est souvent un seul mot. Un mot qu’on ne trouve pas tout de suite. Un mot autour duquel. Un mot autour duquel on tourne. Pour dissiper les brumes. Jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à éliminer tous les mots autour, qui le cache. L’armée d’approximations, d’idées vaguement semblables, de synonymes, de faux désirs, de mauvaises certitudes. Se coltiner chaque contradiction qui se place en obstacle. Comprendre l’adversaire, ses besoins, ses ressources, ses faiblesses. Estimer les alliances conclues. S’estimer. Cibler juste. Le cerner. Le prendre au piège. Seul. Vidé. Le vider de ses sens. Voir s’il résiste. Voir s’il laisse passer. Après des jours de siège, la fortification cède. Tout découle. Tout s’imbrique. Tout se résout. D’un simple mot. Qui trainait là. Lumineux.
DÉCEMBRE
Ne t’attarde pas trop
aux abords des virgules
La phrase est impatiente
de se faire déchiffrer.
Un commentaire
Orignale comme rétrospective. Ceci sort un peu des récits habituels.