Western shots #2 : Stagecoach (1939)

Tu prends la diligence
sans savoir où tu t’embarques

Mais loin
de la stagnation des villes

et de la putréfaction
de ton dernier idéal

Vent frais.

 

Transposition de Boule de suif, la nouvelle de Maupassant sous le soleil de l’Ouest, La chevauchée fantastique (Stagecoach) est le premier joyau du western. C’est une société en miniature qui embarque, contrainte et forcée, dans une diligence exiguë filmée par John Ford : le docteur ivrogne et le représentant en whisky chantre de la modération ; le dandy joueur, fils de juge répudié et le bandit voulant venger son père assassinée : la trop sèche fille de bonne famille, enceinte mais lorgnant vers un amant potentiel et celle de petite vertu au grand cœur, le banquier véreux mais sûr de son fait et le calme shériff, gardien de la loi et de la parole, interrompant les logorrhées tonitruantes du brave conducteur.

Direction Lordsburg, où chacun doit retrouver ce qui fait d’elle ou de lui un être humain : son amour, sa dignité, son devoir, sa liberté. L’équipage, hétéroclite, aurait refusé tout contact sans cette traversée forcée de Monument Valley, métaphore d’une terre promise. Même perdus dans le désert, la mauvaise estime de chacun empêche tout échange. Sans lieux d’attache, loin de toute exigence sociale, sans ces dames patronnesses, juges de bonne moralité ne franchissant jamais l’enclos des villes, rien, pourtant, ne retient l’élan vers l’autre. Mais rien n’y fait. Les barrières sociales, dans cette nation en construction, semblent déjà insurmontables. Une stagnation mentale, au risque du pourrissement, des corps et des âmes, que le mouvement de la diligence, qui, à la différence des trains, ne connaît pas la première classe, tentera de dissiper.

Une traversée jonchée d’obstacles, où la peur inspirée par la menace d’une attaque imminente de la tribu Apache du chef Geronimo révélera petit à petit la vraie nature des protagonistes. Ceux qui se révèlent nobles, ceux qui se terrent dans l’égoïsme, ceux qui restent tels qu’en eux-mêmes. Le groupe s’oppose, se soude, les liens se fondent, les regards, enfin, se mêlent. Et lorsque l’attaque survient, ce ne sont plus neuf individus isolés qui doivent faire face à la horde ennemie mais un groupe animé par le souci de l’autre, malgré les intérêts toujours très divergents. La diligence, en mouvement, fait corps et âme.

Entre ces deux points de l’aventure, un enfant naît. Le père est loin, à la guerre. Tous, ou presque, l’ont suppléé. À la fin de l’aventure, le seul vrai traître de l’histoire, celui qui se plaçait au-dessus de la mêlée, en gardien des vertus de l’Amérique et du capitalisme naissant, est puni : aveuglé par sa cupidité, il est le seul qui n’est pas réussi à trouver une cohérence entre son être et son paraître.

Chacun trouve enfin sa place, transformé par sa relation aux autres et par leur reconnaissance. Ford, dans ce film qui révéla John Wayne, illustre l’un des thèmes fondateur de la geste westernienne : comment, tout au long des canyons de nos vies, faire société, avec les autres, avec nos failles, et avec tout ce qui fait l’homme. Le film se conclut sur un triple crime. Le meurtrier, aux « circonstances atténuantes »,  part avec sa belle vers l’Ouest, sous les yeux du shériff rieur. L’amour, ici, triomphe sur une justice officielle naissante qui, lorsqu’elle est prise en défaut, ne prévaut pas encore sur la loi du talion. La dernière réplique, pied de nez à la bienséance, enfonce le clou de la satire sociale  : Well, they’re saved from the blessings of civilization ( » Eh bien, ils sont sauvés des bienfaits de la civilisation »). Le fantastique de cette chevauchée, c’est peut-être ce retour à soi, véritable voyage initiatique pour dompter nos travers et pouvoir se regarder dans le miroir du saloon, juste avant qu’il ne soit enlevé par crainte d’une fusillade.

 

La chevauchée fantastique (Staghecoach)

États-Unis, 1939, Noir et blanc – son Mono – 35 mm, 97 minutes
Réalisation : John Ford
Scénario : Ernest Haycox, Dudley Nichols et Ben Hecht, d’après la nouvelle Stage to Lordsburg, transposition dans l’univers du western de la nouvelle « Boule de Suif » de Guy de Maupassant.
Musique : Gerard Carbonara
Photographie : Bert Glennon
Montage : Otho Lovering, Dorothy Spencer et Walter Reynolds
Direction artistique : Alexander Toluboff et Wiard B. Ihnen (associé)
Costumes : Walter Plunkett
Son : Frank Maher et Robert Parrish
Effets spéciaux : Ray Binger Yakina Kanut (doublure de J.Wayne)
Production : John Ford
Société de production : United Artists
Lieux de tournage : Monument Valley, Santa Clarita (Californie), Cañon City (Colorado)
Distribution :
Claire Trevor : Dallas
John Wayne : Ringo Kid
Andy Devine : Buck Rickabaugh V
John Carradine : Hatfield
Thomas Mitchell : Dr. Josiah Boone
Louise Platt : Lucy Mallory
George Bancroft : Shérif Curly Wilcox (VF Jean Brochard figurait en 3e position au générique)
Donald Meek : Samuel Peacock
Berton Churchill : Henry Gatewood
Tim Holt : Lieutenant Blanchard
Tom Tyler : Luke Plummer

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