J’aime Lire Store : les coulisses de l’aventure

 

Ça y est, après près d’un an de travail en compagnie de notre partenaire Aquafadas, nous lancerons dans quelques jours le J’aime Lire Store. Une nouvelle application de lecture numérique pour enfants, sur iPad et iPhone, à partir du savoir-faire en littérature jeunesse du groupe Bayard et de son magazine phare, J’aime Lire. Le but de cet article est de partager quelques informations sur cette expérience et d’encourager le débat, sur un marché où tout le monde tente d’inventer sans pour autant trouver -encore- un public équipé et/ou des modèles d’affaires suffisants. Quitte à tenter des choses, autant se nourrir mutuellement pour avancer plus vite, c’est toute la philosophie de notre équipe multimédia à Bayard.

Le contenu de cette application : tout à la fois une boutique, pour acquérir des contes, romans, BD et autres contenus enrichis et une bibliothèque pour les consulter et les collectionner. Les contenus numériques seront proposés dans trois rayons, correspondant à trois « états de lecteur » de l’enfant : le coin des petits (3-5 ans) pour la lecture indirecte, lue par les parents aux côtés des enfants ; les apprentis lecteurs (6-7 ans)  pour les premiers textes à découvrir en autonomie ; fans de lectures pour les enfants de 7 à 12 ans sur le chemin délicieux des lectures entièrement autonomes. Mais comment avons-nous fait pour imaginer les contenus qui viendront enrichir ces rayons ?

L’état des lieux au début du projet

Il y a un an, dans le marché à peine naissant de la littérature numérique jeunesse, sans Kindle ni Kobo, avec un iPad naissant et un iPhone quasi-incontournable, deux types de contenus coexistaient :

– D’un côté des fichier au format .epub, souvent mal réalisés (y compris ceux issus de collection jeunesse prestigieuses). Avec un format certes « ouvert » pour que l’utilisateur puisse changer à son gré la taille des polices, mais, revers de la médaille, sans exigence de mise en page. Surtout, la difficulté d’établir une alternance entre le texte et les illustrations qui soit à la fois agréable pour l’œil et efficace dans l’acquisition et la compréhension du texte par l’enfant. De nombreux sauts de pages impromptus, de larges espaces blancs sous les illustrations rendaient ce « rapport texte-image » inopérant. Or c’est là l’une des grandes spécificités des ouvrages jeunesse. Un frein réel pour imaginer un J’aime Lire numérique, le titre étant synonyme de qualité dans le fond comme dans la forme. Sans compter le désespoir des maquettistes, dont tout le savoir-faire ne pouvaient s’exprimer.

– De l’autre côté, de belles applications, largement enrichies par du son et de l’animation, autour de contes, souvent classiques tombés dans le domaine public. Celles du britannique Nosy Crow ou du français So Ouat (depuis rebaptisé Chocolapps). Des objets numériques plus proches, en contenu comme en coûts de production, de ce que nous produisons pour notre plate-forme de contenus BayaM ou de nos applications jeux iphone/ipad mettant en scène nos héros SamSam, Oukilé, et bientôt Petit Ours Brun, ou de la prolongation numérique du livre d’Hervé Tullet « Un livre », « Un jeu ». (Prix Pépite de la création numérique 2011 au dernier Salon de la jeunesse de Montreuil).

L’ambition du projet : une production de qualité, mais au rythme soutenu.

Il nous fallait trouver un entre-deux, entre la volonté de mettre en place une organisation capable de sortir plusieurs nouveaux contenus par mois (chose difficilement tenable avec les applications enrichies) et obtenir un confort/plaisir de lecture nettement supérieur à ce que nous pouvions obtenir, à cet instant, avec un format epub dans sa version 2 ou 2.5. Dans cette aventure, quatre précieux avantages :

– Une marque extrêmement légitime et populaire sur la lecture jeunesse, J’aime Lire, premier magazine jeunesse français, en tête de pont d’autres propositions (y compris provenant d’autres éditeurs)

– Des textes de fiction et des illustrations originales, créer par des auteurs contemporains et édités avec soin.

– Dès le départ, une rédaction « papier », menée par Marie Lallouet, enthousiaste pour imaginer cette déclinaison avec nous.

– Un partenaire technologique proche et impliqué, Aquafadas, disposant d’un savoir-faire numérique sur le magazine, le livre et la bande dessinée, médium particulièrement attractif pour les enfants et part importante de ce que nous publions (de Tom-Tom et Nana à Ariol en passant par Anatole Latuile.). Il nous proposait un format certes propriétaire (le .ave) mais capable de donner corps à nos idées, le tout lié dans une interface d’achat et de consultation, élément indispensable pour imaginer une consommation de productions numériques basée sur la fidélisation et la récurrence.

L’aventure J’aime Lire Store pouvait démarrer. Avec la volonté de mettre en avant la qualité et la force des textes et des illustrations face à la débauche d’animation et de jeux disponibles juste à côté d’une simple pression de doigt.

Rassembler et transférer le savoir-faire, identifier les problèmes

Il nous fallait tout d’abord concentrer les principales règles de base éprouvées par trente cinq ans d’édition jeunesse dans la présentation des romans, par exemple :

– Le choix d’une typographie bien adaptée au niveau de lecture (sans empattement pour les plus jeunes, avec empattements pour les plus grands, avec des yeux de lettres assez larges).

– Les règles de coupes : pas de phrases coupées d’une page à l’autre pour les apprentis lecteurs, jamais de mots coupés entre deux pages pour les lecteurs plus autonomes.

– L’importance des résumés d’un chapitre à l’autre pour aider à la compréhension générale et à la progression dans le texte…

et aussi l’attention à porter aux jeunes lecteurs qui apprennent à lire avec le doigt suivant les lettres sur la page. Sur tablettes tactiles, cela peut engendrer quelques perturbations… Autant de règles à prendre en compte. Sans compter d’autres interrogations propres au formats et aux supports numériques :

– Comment proposer tout un roman et ses illustrations sur une surface aussi petite qu’un iPhone, pour un lecteur qui a besoin d’un texte écrit en caractères nettement plus grands que les adultes ? Le pari, au départ, nous semblait impossible.

– Comment redonner une dimension d’objet-livre en numérique ? Comment retrouver « l’effet-collection » induit pas la fameuse « tranche » J’aime Lire, par son marque-page, par sa page de garde où l’enfant peut inscrire son nom… Autant d’éléments forts, permettant la fidélisation, l’appropriation des lecteurs et la possibilité de leur faire découvrir des textes aux styles, thèmes et illustrations très variés. Bref, comment (re)trouver cette cohérence permettant aux enfants d’approcher sans angoisses puis de se plonger avec plaisir dans les lectures qu’on lui propose ?

Concentrer l’innovation autour du cœur de la lecture : la force des textes et de la narration.

En parallèle du développement de l’application à proprement parler, de la définition des prix (comment rester dans le marché tout en ne détruisant pas la valeur des contenus et tester des choses ?), de la politique de communication (avec une campagne très sobre, à la manière de  la présentation de services récents que sont SoundCloud et Instagram par exemple, et un slogan « Des histoires au bout des doigts » connectant le fond à la forme), une énergie particulière a été donc mise dans la reformulation d’un « livre jeunesse numérique » en restant au plus proche des éléments déjà disponibles : le texte, les illustrations fixes et le son (les Histoires pour les petits, les J’aime Lire et Mes Premiers J’aime Lire présents dans le store sont lus et enregistrés par des comédiens). Voici six points auxquels nous nous sommes particulièrement attachés lors de la conception du cœur de ces livres numériques. Un grand merci, au passage, au cartographe et designer Jean-François Gleyze, un « stagiaire de luxe » de l’ENSCI qui a travaillé avec nous durant toute la première partie du projet et qui a, à cette occasion, livré un très intéressant rapport sur la lecture numérique.

Six points-clés de notre proposition de lecture numérique

1. Une lecture contrainte en chapitre-parchemin

C’est peut-être le principal risque formel pris sur ce projet. Nous avons décidé non seulement de changer le mode de feuilletage classique des romans (le page à page) mais également de le contraindre au maximum : pas de possibilité de changer la taille des polices, une seule orientation possible du texte. Des choix d’éditeur, discutables mais totalement assumés, guidés par le souci de présenter le texte de la meilleure façon possible aux jeunes lecteurs.

– Le feuilletage : pour revenir à un rapport texte-image satisfaisant, nous avons donc décidé de nous inspirer des débuts de l’écriture, avec le format ancestral du parchemin : chaque chapitre se déroule d’un seul tenant, permettant à la fois une lecture et une navigation fluide dans chaque « rouleau » du texte. Avec, pour passer d’un chapitre à l’autre, un petit effet d’aimantation demandant aux doigts d’effectuer, naturellement, un geste de glissement un peu plus fort.

– Le choix et la taille contrainte des polices : Certes, un des grands avantages du livre numérique est de pouvoir changer à sa guise la taille des polices… pour les adultes. Or, nous sommes, avec beaucoup d’autres (enseignants, éditeurs…), convaincus que la taille et le choix des polices de caractères sont des éléments cruciaux pour permettre une lecture efficace alliant compréhension de ce qui est lu et plaisir pris à le lire (l’un conditionnant l’autre). Or, ces deux visions s’opposent : si l’on permet de changer la police et sa taille, dans un texte illustré, cela transforme obligatoirement le rapport au texte, notamment sur la gestion des blancs et la coupe des mots. Nous avons donc « fixé » ces polices, en type et en corps, permettant d’offrir, selon nous, le meilleur rapport possible sur iPad comme sur iPhone.

– Le choix du fix-layout : Poursuivant la même exigence, nous avons fixé l’orientation des textes : lecture verticale pour l’iPad, horizontale pour l’iPhone. En choisissant cette orientation selon le rapport lisibilité/support et équivalence de corps de polices entre les différents appareils. Une contrainte, ou plutôt, sachant que l’autre option n’était pas pertinente, le choix de la meilleure solution pour l’enfant-lecteur.

2. Un travail typographique adaptés aux supports.

Stéphane Mattern, directeur artistique de l’équipe et l’excellent Perceval Barrier, notre graphiste multimédia sur ce projet, amoureux de la typographie, ont particulièrement travaillé sur la recherche de nouvelles polices de caractères compatible avec les supports et répondant à l’exigence de lisibilité posée.

3. Un marque-page réactif pour spatialiser la lecture

Si, pour un adulte, il peut-être important de savoir « où il en est » dans un texte. Pour l’enfant, cette information est cruciale. Elle favorise et renforce sa progression dans le texte mais aussi dans son apprentissage de la lecture : pagination, chapitre, résumés. Autant de repères sur lesquels il peut s’appuyer afin de progresser dans l’histoire et l’acquisition de la compétence de lecture. Nous avons donc repris l’idée du marque-page présent dans tous les J’aime lire pour en faire un outil ludique qui se colorie au fur et à mesure de la lecture. Il peut également servir de « vrai » marque-page grâce à une petite pastille que l’enfant peut activer pour aimanter le texte à un endroit précis et être ainsi sûr de retrouver facilement sa position.

4. Un usage différencié du son selon le niveau de lecture

Nous disposions des versions audio de chaque histoire. Nous avons décidé de les proposer de manière différentes selon le niveau de lecture de chaque enfant. Dans les deux cas (apprentis lecteurs avec Mes premiers J’aime lire et fans de lectures avec J’aime lire, un mode « J’écoute le roman » est proposé. Il consiste au défilement du son sur un diaporama reprenant les illustrations de l’histoire. Si nous travaillons à une version audio avec texte pour J’aime lire (son lancé pour chaque chapitre), nous avons d’ores et déjà intégré le son sur le texte des Mes premiers J’aime lire, mais uniquement au tap sur une phrase. Le son, ici est une aide à la lecture. Le lancer « au long », beaucoup trop rapide, aurait été en total décalage avec le rythme des lecteurs débutants.

5. Un accès immédiat aux définitions des mots compliqués.

Fonction simple mais particulièrement utile aux lecteurs, l’apparition au « tap » de la définition des mots compliqués qui évite d’insérer ces définition en bas de page, -compliqué avec notre option de chapitre-parchemin ;-)-, avec un risque de casser arbitrairement la lecture. Cela permet aussi de ne pas les renvoyer en fin de texte (comme dans le magazine pour les définitions longues et illustrées) et d’offrir au lecteur une liberté d’approfondissement simple et efficace grâce à cette petite fonctionnalité.

6. Un badge « J’ai tout lu » pour introduire le concept d’achievement issu du jeu vidéo dans la lecture.

À la fin de chaque roman, une gratification sous forme de badge (principe d’achievement des jeux vidéos) sous forme de badge permet à l’enfant de terminer la lecture sur un mode ludique et valorisant. Le badge ainsi gagné apparaît dans la bibliothèque de l’enfant et sur la couverture du roman. Il lui permet de voir d’un coup d’œil ce qu’il a lu tout en lui permettant d’embrasser l’ensemble de ses lectures. Un moyen, également, d’augmenter l’attachement du lecteur à ces contenus grâce à ce gimmick récurrent.

Pour finir, une petite présentation donnée lors du lancement presse de Bayam et du J’aime Lire Store par le site IDBoox (pas toujours très clair, le coup de l’émotion et du champagne, j’en suis désolé) :

Et enfin, l’interview donnée à BFM lors de l’atelier numérique du 18 février :

Voilà. J’aime Lire Store va désormais vivre sa vie, partir à la rencontre de ses lecteurs . Rendez-vous donc sur le site J’aime Lire Store, sur Facebook ou Twitter. Toute l’équipe (Stéphanie Simonin, Perceval Barrier, Cédric Naux, Stéphane Mattern, Florent Maurin, Charlotte Chea, la team Aquafadas et Jean-François Gleyze) attend vos remarques et vos idées pour améliorer, chaque jour ce nouvel espace numérique où, espérons-le, il fera « bon lire ».

Stéphane Bataillon

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